Victor, ou L'enfant de la forêt. Ducray-Duminil François Guillaume

Victor, ou L'enfant de la forêt - Ducray-Duminil François Guillaume


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Quel rapport peut avoir la vertu avec le crime? car à Dieu ne plaise que je soupçonne cette femme d'être coupable, de nous en avoir imposé par les dehors les plus séduisans! Elle est, dit-il, essentiellement nécessaire à son repos! Quel mystère! Et quelle obstination a-t-elle aussi de nous cacher ses malheurs? Cela détruirait en nous jusqu'à l'ombre de la défiance… Allons, mon fils, il faut prendre un parti. – Il est tout pris, mon père, et je me flatte que vous l'approuverez. Vous avez donné un asyle à une femme infortunée, vous la garderez, vous la protégerez, vous la défendrez contre ses persécuteurs. – Bien, bien, mon ami; nous mourrons s'il le faut, mais nous aurons fait notre devoir… – Non, nous ne mourrons pas; nous repousserons la force par la force; et, comme notre cause est juste, nous aurons pour nous le ciel, et le courage que donne toujours le sentiment de la justice. – Je te reconnais, mon fils: voilà le langage de la probité, de la valeur… Cependant, avant de répondre à Roger, il faut absolument que nous parlions à madame Wolf; il faut que cette femme nous donne au moins quelque idée des liaisons qu'elle a pu avoir avec un homme dont personne ne peut prononcer le nom sans horreur. Je ne suis pas tranquille sur ce point; et si elle persiste toujours à se taire, je t'avouerai que je lui ferai sentir que sa présence a troublé la tranquillité dont jouissait cette maison. – Vous la congédierez, mon père? – Je ne dis pas cela; mais je veux qu'elle ait plus de confiance en des gens dont elle expose le repos, et même la vie.

      Le baron fait appeler madame Wolf. Elle arrive bientôt avec Clémence. Hélas! elle ne se doute pas du nouveau coup qui va la frapper!..

      Madame, lui dit le baron d'un ton sérieux, je reçois une lettre qui vous concerne. – Moi, monsieur! – Un homme qui vous connaît, qui a essentiellement besoin de vous, m'écrit pour que je vous engage à l'aller trouver. – Moi!.. Eh! bon Dieu, qui peut se ressouvenir de moi dans le monde! Je n'y ai plus d'amis, monsieur. – Non! mais vous pouvez y avoir des ennemis. – (Madame Wolf pâlit.) Je… ne me rappelle… pas… – L'homme en question est très-connu de vous; vous avez même son portrait. – Ciel! (Madame Wolf chancèle, Clémence la soutient.) – Vous rappelez-vous maintenant?.. – Serait-ce lui… non, non, cela ne se peut. – Cela se peut, car cela est. – Roger! (Elle tombe évanouie; on s'empresse à la secourir; elle reprend ses sens.) Quoi! monsieur, c'est une lettre de Roger que vous avez là entre vos mains? – Oui, madame; lisez-la. – (Madame Wolf lit la lettre, jette un cri, et cache sa figure dans ses deux mains.) Grand Dieu, quand finiront tant de maux! – Quand vous voudrez, madame, avoir assez de confiance en moi, pour me les confier. – Ah! monsieur, (Elle se jette aux genoux du baron.) sauvez-moi, sauvez-moi, secourez-moi. – Oui, oui, je veux vous sauver, je veux vous secourir, femme infortunée. Relevez-vous, mais relevez-vous donc? – Non, je reste à vos pieds jusqu'à ce que vous me promettiez de ne point céder aux vœux d'un barbare, d'un monstre qui a fait mon malheur, le mien, et celui d'une femme, ah!.. bien plus à plaindre que moi. – Vous craignez donc tout de sa fureur? – Tout! – Pour votre vie? – Ah! s'il me tuait, ce serait le moindre des tourmens que j'attends de sa férocité. – Pauvre madame Wolf, vous pénétrez, mais en même temps vous déchirez bien cruellement mon cœur! – Homme généreux! – Oui; mais que vous n'estimez pas assez pour lui confier vos peines. (Madame Wolf détourne la tête en se levant.) Parlez; quel rapport ce Roger a-t-il jamais pu avoir avec vous? (Madame Wolf se tait, et baisse les yeux.) Où l'avez-vous connu? comment possédez-vous son portrait? (Toujours même silence.) Que veut-il de vous, enfin? Il faut pourtant que je le sache, pour régler la conduite que je dois tenir avec lui. – Monsieur… – Vous vous taisez, femme inhumaine et dissimulée; vous laissez enfoncé dans mon cœur le trait de l'indécision, de l'inquiétude qui me tuent. – Oui, oui, accablez-moi du poids de votre colère; je sens que je la mérite, je le sens; mais je ne puis regagner votre indulgence: je ne puis parler. – Vous ne pouvez parler!.. Il faut donc que je fasse tous les frais de l'amitié, moi! Il faut donc que je vous reçoive chez moi, que je vous y protège, que je vous défende, sans vous connaître, sans savoir qui j'oblige, si je défends le crime ou la vertu? – Le crime, oh Dieu! – J'en suis fâché: ce mot n'est point dans mon cœur; ma bouche l'a prononcé sans l'aveu de mon esprit; mais enfin que voulez-vous que je pense d'une dissimulation aussi profonde?.. Madame Wolf, c'est aussi manquer à tous les égards, à tous les procédés. – Ah! je le sais, monsieur, je ne le sais que trop; mais j'embrasse encore une fois vos genoux…

      Le baron la relève; elle continue: Je vous l'ai dit, je vous le répéterai cent fois: ce secret n'est point à moi; il n'est point à moi, ce fatal secret… Grand Dieu! que ces persécutions acquittent bien la dette de l'amitié! toi que j'ai tant aimée, toi qui m'entends peut-être du fond de ton tombeau, femme admirable et malheureuse, tu vois ce que je souffre pour toi! Ah! prête-moi donc cette force, ce courage qui ont signalé les derniers momens! j'en ai besoin, ô mon amie! je ne peux plus vivre, s'il faut résister plus long-temps aux instances de ceux que j'honore, qui me sont bien chers, et que j'offense en gardant le serment que tu m'as arraché!..

      Cette exclamation forte, énergique, ferme la bouche à M. de Fritzierne: il se reproche d'avoir tant pressé une femme dont la vertu l'étonne, le confond, et sur laquelle il jette des regards fixes pleins d'admiration et de sensibilité. Pardon, madame, lui dit-il, pardon; je vois qu'un serment sacré vous enchaîne, je me repens d'avoir essayé de vous rendre parjure. – Non, monsieur, non, ne m'excusez point, je vous prie; je suis coupable, je le suis… Eh bien! je vais vous venger, me venger moi-même: je vais trouver Roger; oui, je cours me livrer à ce monstre: je lui dirai, je suis à charge à mes bienfaiteurs, à toi, à toute la nature; arrache-moi une vie sur laquelle tu as répandu le poison du remords et de la douleur éternelle: prends ta victime, elle attend de toi le bienfait de la mort!..

      En disant ces mots, madame Wolf se précipite vers la porte: Ne me retenez pas, s'écrie-t-elle! il menace vos jours, je veux les sauver en lui livrant les miens… Laissez-moi, laissez-moi!..

      Le baron, Victor et Clémence courent après cette insensée, la forcent de rentrer dans l'appartement, l'engagent à s'asseoir, et parviennent peu à peu à rendre le calme à ses sens. Elle recouvre bientôt l'usage de sa raison, et réclame l'indulgence de ses amis, pour l'effroi qu'elle vient de leur causer. Tous s'empressent autour d'elle, tous lui jurent de mourir plutôt que de la livrer à son bourreau. Cette femme intéressante baigne de larmes les mains de ceux qui lui témoignent tant d'attachement; elle leur prodigue les noms les plus doux. Un jour, leur dit-elle, un jour, vous saurez peut-être, vous connaîtrez les événemens les plus extraordinaires… Ils étaient faits pour moi; mais ne l'espérez pas, ne l'espérez pas de si-tôt, cet aveu déchirant. Une… circonstance seule, mais bien bizarre… un rapprochement singulier, que m'a fait naître l'aveu que Clémence vous a fait de son amour… si le hasard permettait que mes idées… mais non, non, ne vous en flattez pas: c'est une erreur, une illusion, un jeu de l'imagination… Attendez tout du temps et de la loi impérieuse des événemens.

      Ce discours, presqu'inintelligible parut tellement dépourvu de bon sens à nos trois amis, qu'ils craignirent pour la raison de madame Wolf: le coup qui venait de la frapper était si violent, qu'il pouvait avoir dérangé son cerveau, et troublé ses sens. Clémence l'engagea à rentrer chez elle, à prendre quelques momens de repos; elle y consentit, après avoir imploré de nouveau la générosité, la pitié, la protection du baron de Fritzierne, qui lui promit, de ne jamais l'abandonner.

      Quand toutes deux se furent retirées, le baron et Victor, que cette scène avait singulièrement émus, s'entretinrent long-temps, et des menaces de Roger, et des moyens qu'ils devaient prendre pour en prévenir les effets. Quand leur résolution fut bien prise, Fritzierne écrivit ce peu de mots, en réponse à la lettre insolente du chef des brigands:

      «Roger, je ne suis point accoutumé à craindre l'arrogance, tu dois le savoir. La femme que tu réclames est chez moi; elle n'en sortira pas: ose venir l'y chercher toi-même; mais tremble d'y trouver la punition de tes forfaits. Alexandre Bolosqui, baron de Fritzierne».

      Cette lettre écrite, il s'agissait de la faire remettre au chef des indépendans d'une manière sûre, et sans craindre de compromettre la vie du porteur. C'est Victor, qui se charge de ce soin, malgré


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