Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1. Charles Athanase Walckenaer
la perdit. Cette violence faite à un premier sentiment, cette première idée de la mort et d'une éternelle séparation, firent sur elle une impression si profonde et si durable, qu'elle résista à tous les efforts que l'on fit pour l'effacer. Les plaisirs se pressaient en vain autour d'elle, ils ne pouvaient expulser de son cœur une douleur qui en avait pénétré la substance, ni dissiper une mélancolie qui lui était chère. Une de ses tantes s'était chargée de continuer son éducation: quoique sœur d'un évêque, cette tante trouvait que les idées religieuses prenaient trop d'empire sur sa pupille, et elle la conduisait sans cesse dans le monde, au bal et à la comédie. Partout l'éclat de ses charmes, plus encore que ses grandes richesses, attirait sur ses pas une foule de jeunes gens qui briguaient l'honneur d'obtenir sa main. Elle épousa, dans le mois de mai 1645, Jean-Jacques de Beauharnais, seigneur de Miramion, conseiller au parlement de Paris, dont la fortune égalait la sienne196. Il n'avait pas vingt-sept ans, était beau, bien fait, du caractère le plus heureux. Moins que sa tante, il la gênait pour ses exercices de piété. Une union si bien assortie lui fit éprouver un bonheur qu'elle n'avait connu que dans son enfance: elle aimait, elle était aimée; Dieu s'y trouvait, et sa mère entre elle et Dieu. Elle ne formait plus qu'un seul vœu: c'était de mériter, par l'innocence du cœur et la pureté de l'âme, que les bénédictions versées sur elle dans cette vie ne pussent nuire aux espérances qu'elle avait conçues pour la vie à venir. Six mois (seulement six mois!) s'écoulèrent dans les délices d'une telle existence. Au bout de ce temps, son mari fut atteint d'une fluxion de poitrine, et mourut, la laissant enceinte.
Elle accoucha d'une fille, si languissante et si faible en naissant, que les soins les plus assidus ne pouvaient que faiblement la disputer à la mort. La religion et la tendresse maternelle empêchèrent madame de Miramion de succomber à son désespoir. Elle passa les deux premières années de son veuvage dans la retraite la plus austère, toujours au pied des autels ou du berceau de sa fille. Née le 2 novembre 1629, madame de Miramion n'avait que seize ans et demi lorsqu'elle devint veuve et mère197. Ses parents, dont elle était tendrement aimée, craignaient qu'elle ne se fît religieuse: ils désiraient la conserver au milieu d'eux; et son extrême jeunesse leur fit espérer que le moyen qu'ils avaient employé efficacement une première fois leur réussirait une seconde. Ils laissèrent d'abord un libre cours à sa douleur; et, croyant que le temps y avait apporté quelque diminution, ils la pressèrent de contracter un nouveau mariage. Des partis brillants se présentèrent, et lui étaient chaque jour proposés. Plusieurs de ceux qui la recherchaient regrettaient, en la voyant si belle, qu'elle fût si riche, et que la fortune fût un obstacle à leurs désirs, ou un motif de suspecter la sincérité de leur amour. Quant à ses résolutions, elles n'étaient pas douteuses: elle ne laissait échapper aucune occasion de les exprimer de manière à faire renoncer ceux qui la recherchaient au projet qu'ils avaient conçu. Elle se reprochait souvent, en leur présence, les passions qu'elle faisait naître involontairement, et en témoignait son chagrin. Attaquée de la petite vérole, elle regretta que cette maladie ne lui eût pas enlevé ses attraits, dont sa piété lui faisait détester le pouvoir. Cependant, vivement touchée de l'attachement et du désintéressement de ses parents, elle n'osait fermer sa porte aux prétendants qu'ils introduisaient auprès d'elle. Son humilité lui faisait penser aussi qu'elle n'était pas encore digne de se consacrer à Dieu: elle semblait hésiter, et suppliait qu'on lui donnât du temps pour se décider. En attendant, elle multipliait les prières et les actes de dévotion, dans l'espérance que Dieu parlerait à son cœur, et lui révélerait sa volonté. Pourtant on se flattait d'obtenir son consentement pour lui faire épouser M. de Caumartin, et ce seul espoir comblait de joie deux familles riches et puissantes qui désiraient vivement cette alliance198.
Telle était celle que Bussy, sans la connaître, se proposait d'enlever pour en faire sa femme, persuadé qu'elle se trouverait honorée de lui appartenir et charmée de paraître à la cour, où sa naissance et le rang de ses parents ne l'appelaient pas. Assuré de la protection du vainqueur de Rocroi, il regardait un enlèvement comme sans conséquence envers une femme qui, malgré sa richesse, n'était à ses yeux qu'une bourgeoise. Rubelle, frère aîné de madame de Miramion, alors âgé de vingt-cinq ans, était seul, dans toute sa famille, capable d'inspirer quelque crainte à Bussy, si Bussy, réputé brave parmi les braves, eût été accessible à une crainte de cette nature. D'ailleurs, il convoitait les richesses de notre jeune veuve, il était épris de ses charmes, il croyait lui plaire; ses motifs étaient purs, son but honorable: il n'y avait donc pas à balancer. Sa résolution fut irrévocablement prise, et il se disposa à l'exécuter.
Les préparatifs ne furent pas tenus tellement secrets qu'il n'en transpirât quelque chose. Madame de Miramion fut avertie par plusieurs personnes qu'on voulait l'enlever; mais comme on ne lui nommait pas celui qui avait le projet de se porter à cet excès d'audace, et que parmi tous ceux qui aspiraient à sa main, et qu'elle connaissait bien, pas un seul ne pouvait être soupçonné de songer à une action aussi coupable, elle n'ajouta aucune foi aux propos qu'on lui tint à ce sujet, et ne prit aucune précaution199.
Bussy savait qu'elle s'était retirée à Issy avec sa belle-mère, chez de Choisy, conseiller d'État, grand-père du mari qu'elle avait perdu200. Les affidés dont Bussy l'avait entourée lui apprirent que le 7 août elle devait aller au mont Valérien, pour y faire ses dévotions. Bussy dressa ses plans en conséquence: il disposa d'abord quatre relais de Saint-Cloud au château de Launay, trajet d'environ vingt-cinq lieues. Il assembla une forte escorte, composée de Rabutin son frère, d'un gentil-homme de ses amis, qui avait fait sous ses ordres deux campagnes comme volontaire, et de trois autres gentils-hommes de ses vassaux et dans sa dépendance. Ces cinq cavaliers étaient suivis de deux ou trois serviteurs, comme eux bien montés et bien armés201.
Madame de Miramion, l'esprit uniquement occupé de l'acte pieux qu'elle allait accomplir, partit d'Issy à sept heures du matin, le jour précis qui avait été indiqué à Bussy. Elle avait avec elle sa belle-mère; et de plus, selon l'usage des dames riches et d'un rang distingué de cette époque, de ne jamais se montrer en public sans être suivies d'une partie de leurs familiers, elle était accompagnée d'un écuyer âgé, et de deux demoiselles, pour parler le langage de ce temps, c'est-à-dire de deux femmes attachées à son service. L'une d'elles était une gouvernante entre deux âges, l'autre une jeune femme de chambre, nommée Gabrielle. Un seul domestique se trouvait derrière. L'escadron de Bussy était posté sur la route qui conduit de Saint-Cloud au mont Valérien, vis-à-vis le pont202; lorsque le carrosse de madame de Miramion l'eut passé, il fut arrêté, et en même temps deux cavaliers se présentèrent aux portières pour abaisser ce qu'on nommait alors les mantelets, ou les rideaux de cuir qui les fermaient. Madame de Miramion voulut repousser les agresseurs en les frappant avec son sac, et en criant au secours! de toutes ses forces. Mais ses cris et les faibles armes qu'elle employait étaient également impuissants. Pourtant les cavaliers, ne pouvant parvenir à abaisser les mantelets, tirèrent leur épée pour couper les courroies qui les attachaient aux portières. Madame de Miramion, avec un courage au-dessus de son sexe, chercha à leur arracher leurs armes, et s'ensanglanta les mains. Pendant ce combat si inégal, l'escadron avait forcé le cocher de repasser le pont, et d'entrer dans le bois de Boulogne203. Là les attendait une voiture plus légère, attelée de six chevaux. Bussy voulut y faire entrer madame de Miramion: il ne put y parvenir, ni de gré ni de force. Elle se cramponnait si fortement dans son carrosse, qu'il était impossible de l'en arracher sans lui faire une trop grande violence et sans la blesser. Elle poussait d'ailleurs des cris aigus, et il était urgent, pour le succès de l'entreprise, de mettre promptement fin à cette lutte. Bussy fit alors dételer les deux chevaux du carrosse de madame de Miramion, et ensuite atteler à ce même carrosse les six chevaux de sa voiture. Deux palefreniers s'emparèrent du cocher et des deux chevaux de madame de Miramion, et furent chargés de les conduire à Paris, et de les retenir en captivité jusqu'à nouvel ordre.
L'escadron, divisé
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L'abbé DE CHOISY,
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TALLEMANT,
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L'abbé DE CHOISY,
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CHOISY,
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BUSSY,
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BUSSY,