Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1 - Charles Athanase Walckenaer


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votre mérite ne saurait demeurer plus longtemps en un même lieu sans éclat, il court un bruit que vous êtes à Paris. Je ne le saurais croire: c'est une des choses du monde que je souhaite le plus, et ces choses-là n'arrivent point. J'envoie pourtant au hasard savoir s'il est vrai, afin qu'en ce cas je ne sois plus malade. Ce ne sera pas le premier miracle que vous aurez fait; dans votre illustre race, on les sait faire de mère en fils. Vous savez que madame de Chantal y était fort sujette; et tous les honnêtes gens qui vous voient et qui vous entendent demeurent d'accord que monsieur son fils, qui était votre père, a fait un grand miracle. Je vous supplie donc, si vous êtes de retour, de ne vous point faire celer, afin que j'aie le plaisir de me porter bien et l'honneur de vous voir. C'est une grâce que je crois mériter autant qu'autrefois, puisque je suis aussi étourdi, aussi fou, et disant les choses aussi mal à propos que jamais. Je ne songe pas qu'encore que je ne sois pas changé, vous pourriez bien être changée et, au lieu de la lettre monosyllabe que je reçus de vous l'an passé, dans laquelle il y avait oui, m'en envoyer une de même longueur, où il y aurait non. Je suis, avec tout le sérieux et le respect dont je suis capable (le premier n'est pas grand, l'autre si),

«Votre très-humble serviteur, DE MONTREUIL.»

      POST-SCRIPTUM. «J'ai oublié à mettre des madame dans ma lettre; et à présent que vous êtes lieutenante de Fougères, c'est une grande faute. Tenez donc, en voilà trois; distribuez-les aux endroits qui vous sembleront en avoir plus de besoin, madame, madame, madame157

      Cette lettre justifie un peu l'épithète de fou qu'on avait donnée à Montreuil dans la société. Mais c'est là un rôle que la jeunesse avisée se plaît souvent à jouer auprès des jeunes femmes, pour accroître encore le privilége qui lui est accordé de se montrer indiscrète. Le marquis de Sévigné, pressé sans doute d'aller exercer sa nouvelle charge, conduisit au printemps de l'année 1645 sa femme en Bretagne, à sa terre des Rochers, située à une lieue et demie au sud-est de Vitré. Ce lieu, où depuis madame de Sévigné a fait des séjours si fréquents et si prolongés, où elle a écrit un si grand nombre de ses lettres, est dans un vallon au fond duquel coule un bras de rivière, un des affluents de la Vilaine. On s'y rend de Vitré par une chaussée pavée en grosses et larges pierres, qui annoncent la richesse et la puissance des anciens seigneurs. Le pays est ombragé de hêtres, de chênes, de châtaigniers, qui croissent avec vigueur sur les flancs des murs de terre qui entourent les propriétés dans cette partie de la Bretagne. Le château est situé sur un vaste plateau, d'où la vue ne s'étend pas à une demi-lieue. Cette vue est bornée par un terrain inégal et ondulé, et par des champs subdivisés en une multitude de clôtures formées par des haies, entourées de fossés, de parapets et d'épines, et bordées encore par d'immenses bouquets d'arbres qu'on ne prend jamais soin d'émonder. D'aucun côté on n'aperçoit de rochers, ce qui semble démontrer que le nom de ce domaine a une autre étymologie que la signification habituelle du mot qui sert à le désigner158.

      Le château, qui subsiste encore, avait lorsque madame de Sévigné s'y transporta pour la première fois déjà près de trois cents ans d'antiquité. L'escalier en limaçon est pratiqué dans une tour, et le corps de logis est flanqué de deux autres tours, bordées toutes deux de têtes gothiques, de figures grossières, depuis la naissance du toit jusqu'au sommet. L'aspect du sol est en harmonie avec celui de cet antique édifice; et un académicien, qui le visita en 1822, nous dépeint les champs qui l'environnent, enclos, couverts de genêts, n'offrant que des landes stériles ou les traces d'une agriculture négligée; et une race d'habitants à membres courts et trapus, le teint jaune, les yeux noirs, les cheveux longs et tombants, revêtus d'un manteau de chèvre ou de brebis. Ils logent dans des maisons aussi mal soignées que leur corps; hommes, femmes et enfants couchent au-dessous les uns des autres dans des armoires à grands tiroirs, souvent en face de la vache ou du mouton qui passent la tête par le treillis mitoyen, entre la portion d'habitation destinée à l'étable et celle qui forme leur unique chambre159.

      Ce séjour était bien triste et bien sauvage pour une jeune femme habituée aux bosquets de Livry, aux magnifiques hôtels de la capitale, aux salons somptueux du Louvre, du Luxembourg, du Palais-Royal et du Temple. Mais madame de Sévigné s'y trouvait avec un époux qui ne lui avait donné alors aucun sujet de plainte, qu'elle aimait avec tendresse; et tous deux étaient uniquement occupés à jouir de ces premiers temps de l'hymen, si remplis de bonheur et d'espérances. Ils passèrent dans leur terre non-seulement le printemps, l'été et l'automne, mais encore tout l'hiver.

      Bussy, qui pendant cette dernière saison était revenu à Paris pour y résider, fut fort déconcerté de n'y pas retrouver sa cousine. Il avait été en Nivernais pour y recevoir, en sa nouvelle qualité, les hommages de la province; sa femme l'accompagnait. Il la conduisit à la terre de Forléans, près de Semur, en Bourgogne. Ce domaine, situé à une lieue de Bourbilly, avait appartenu au père de madame de Sévigné, et depuis était passé à la branche cadette des Rabutins160. Bussy y demeura avec sa femme; mais il en repartit promptement, et se rendit en toute hâte à la cour, dès qu'il sut que, par la protection du prince de Condé (le père du duc d'Enghien, depuis le grand Condé), il venait d'être fait conseiller d'État161. Lenet, alors son ami, procureur général au parlement de Dijon, qui a joué un rôle assez important, quoique secondaire, dans la Fronde, et dont nous avons des Mémoires, venait d'obtenir la même faveur par le même canal162. Lenet, comme Bourguignon, était fort lié avec la marquise de Sévigné. Se trouvant à Paris pour le même motif que Bussy, il fut, ainsi que lui, étonné et contrarié d'apprendre que, elle et son mari, fussent restés en Bretagne. Cette conformité de regrets des deux amis leur fit composer en commun une lettre en vers, que les deux époux reçurent à leur terre des Rochers. Pour l'esprit et la facilité, cette épître ne le cède en rien à celles de Chaulieu et de la Fare, et n'offre pas plus d'incorrection et de négligences.

      Salut à vous, gens de campagne,

      A vous, immeubles de Bretagne,

      Attachés à votre maison

      Au delà de toute raison:

      Salut à tous deux, quoique indignes

      De nos saluts et de ces lignes.

      Mais un vieux reste d'amitié

      Nous fait avoir de vous pitié,

      Voyant le plus beau de votre âge

      Se passer dans votre village,

      Et que vous perdez aux Rochers

      Des moments à nous autres chers.

      Peut-être que vos cœurs tranquilles,

      Censurant l'embarras des villes

      Goûtent aux champs en liberté

      Le repos et l'oisiveté;

      Peut-être aussi que le ménage

      Que vous faites dans le village

      Fait aller votre revenu

      Où jamais il ne fût venu:

      Ce sont raisons fort pertinentes

      D'être aux champs pour doubler ses rentes;

      D'entendre là parler de soi

      Conjointement avec le roi.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      Certes ce sont là des honneurs

      Que l'on ne reçoit point ailleurs?

      Sans compter l'octroi de la fête;

      De lever tant sur chaque bête;

      De donner des permissions;

      D'être chef aux processions;

      De commander que l'on s'amasse

      Ou pour la pêche ou pour la chasse;

      Rouer de coups


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<p>157</p>

MONTREUIL, Œuvres, édit. 1671, p. 4; édit. 1656, p. 5.

<p>158</p>

NICOT, Thresor de la Langue Françoyse, 1606, in-folio, p. 572 et 673, aux mots Roc ou Rochier.—TALLEMANT DES RÉAUX, Historiettes, t. II, p. 425.

<p>159</p>

DUREAU DE LA MALLE, Lettres sur les Rochers de madame de Sévigné; Paris, 1822, in-8o, p. 6, 7 et 9.

<p>160</p>

XAVIER GIRAULT, Notice sur la Famille de Sévigné, dans les Lettres inédites de Sévigné, édit. 1819, in-12, p. LV; édit. des mêmes Lettres inédites, in-8o, p. XL.; Lettres de Sévigné, 1823, in-8o, t. I, p. CI.—M. GIRAULT cite Courte Hist. de Bourgogne, t. V, p. 526.

<p>161</p>

BUSSY, Mémoires, édit. in-12, t. I, p. 104 et 106; édit. in-4o, p. 132.

<p>162</p>

PETITOT, Notice sur Lenet, dans la Collection des Mémoires sur l'Hist. de France, t. LIII, p. 6.—Cf. Revue de Paris du 28 décembre 1844.