Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1 - Charles Athanase Walckenaer


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prince aurait poussé plus avant sa campagne;

      Et moi je finirais mes récits de combats

      Et l'éloge de son altesse,

      En vous parlant de ma tendresse,

      Si je n'étais un peu trop las178.

      Madame de Sévigné, lorsqu'elle se rendait en Bretagne, n'était pas toujours condamnée au triste séjour des Rochers; et une de ses lettres à sa fille nous apprend qu'elle faisait avec son mari de fréquents voyages dans toute la province, et allait souvent à Nantes, qui était alors comme aujourd'hui, dans cette partie de la France, la ville la plus populeuse, la plus riche et la plus agréable à habiter. Madame de Sévigné trouvait que l'air de cette ville mêlé à celui de la mer avait l'inconvénient de la brunir, et de gâter son beau teint179: elle préférait l'air de l'Ile-de-France, c'est-à-dire celui de Paris. Ceci rappelle le mot si connu de madame de Staël, exilée dans son château de Coppet, sur les bords du lac de Genève, devant qui l'on vantait ce lac et ses magnifiques points de vue: «J'aimerais mieux, répondit-elle, le ruisseau de la rue du Bac.» C'est un des plus noirs et des plus infects de la capitale de la France.

      CHAPITRE IX.

      1647-1648

      Bussy retourne en Bourgogne.—Mort de sa femme: sincère dans l'expression de ses regrets.—Il retourne à la cour.—Est bien reçu du prince de Condé, qui l'emmène en Catalogne.—Madame de Sévigné, restée aux Rochers, accouche d'un fils.—Lettre de madame de Sévigné à Bussy sur ce sujet.—Réponse de Bussy.—Madame de Sévigné recommande Launay-Lyais à Bussy.—Empressement que celui-ci met à lui répondre favorablement.—Le prince de Condé échoue devant Lérida.—Il répare par une nouvelle campagne en Flandre l'échec fait à sa gloire.—Prend Ypres.—Envoie Bussy à la cour pour annoncer son succès, et lui donne ainsi les moyens de terminer une nouvelle aventure.

      Après la campagne, Bussy retourna en Bourgogne; et bientôt après ce retour, vers le milieu du mois de décembre 1646, il eut la douleur de perdre sa femme. Il en avait eu trois filles, et point d'enfant mâle. «Elle m'aimait fort, dit-il; elle avait bien de la vertu, et assez de beauté et d'esprit.» Il ajoute qu'il fut extrêmement affligé de cette perte; et on doit le croire, car l'hypocrisie de sensibilité n'était pas son défaut: il montre au contraire le plus souvent, en écrivant, de la sécheresse de cœur et quelquefois de la dureté180.

      Toutefois, sa douleur ne l'empêcha pas d'aller à la cour; il fut bien reçu du duc d'Enghien, devenu prince de Condé par la mort de son père, qui eut lieu à la même époque. Le nouveau prince de Condé fut nommé vice-roi de Catalogne, et chargé de commander l'armée qui devait combattre les Espagnols de ce côté. Il emmena Bussy, que rien ne retenait à Paris: il n'y avait pas trouvé sa cousine; elle était encore restée aux Rochers. Cette fois elle avait un motif pour ne pas entreprendre dans la mauvaise saison un voyage alors long et difficile, à cause du mauvais état des routes et le peu de perfection des voitures; et ce motif, après trois ans de mariage passés sans enfant, lui était trop agréable pour qu'elle regrettât les amusements de la capitale, auxquels d'ailleurs il lui était impossible de prendre part. Lorsque Bussy, au commencement de février, alla loger au Temple chez son oncle le grand prieur181, elle se trouvait vers la fin de sa première grossesse, et le mois suivant elle donna un héritier au nom de Sévigné. La joie de cette jeune femme éclate avec une vivacité singulière dans la lettre suivante, qu'elle écrivit à Bussy, le 15 mars 1647.

LETTRE DE MADAME DE SÉVIGNÉ A BUSSY

      «Je vous trouve un plaisant mignon de ne m'avoir pas écrit depuis deux mois! Avez-vous oublié qui je suis et le rang que je tiens dans la famille? Ah! vraiment, petit cadet, je vous en ferai bien ressouvenir: si vous me fâchez, je vous réduirai au lambel. Vous savez que je suis sur la fin d'une grossesse, et je ne trouve en vous non plus d'inquiétude de ma santé que si j'étais encore fille. Eh bien! je vous apprends, quand vous en devriez enrager, que je suis accouchée d'un garçon, à qui je vais faire sucer la haine contre vous avec le lait; et que j'en ferai encore bien d'autres, seulement pour vous faire des ennemis. Vous n'avez pas eu l'esprit d'en faire autant: le beau faiseur de filles!

      «Mais c'est assez vous cacher ma tendresse, mon cher cousin; le naturel l'emporte sur la politique. J'avais résolu de vous gronder sur votre paresse, depuis le commencement jusqu'à la fin; je me fais trop de violence, et il en faut revenir à vous dire que M. de Sévigné et moi vous aimons fort, et que nous parlons souvent du plaisir qu'il y aurait d'être avec vous182

      Bussy reçut cette lettre à Valence, lorsqu'il était en route pour se rendre à l'armée de Catalogne. Elle lui plut tant, il la trouva si spirituelle, qu'il l'inséra en entier dans ses Mémoires183, ainsi que la réponse qu'il y fit, datée de Valence le 12 avril 1647.

LETTRE DE BUSSY A MADAME DE SÉVIGNÉ

      «Pour répondre à votre lettre du 15 mars, je vous dirai, madame, que je m'aperçois que vous prenez une certaine habitude de me gourmander, qui a plus l'air de maîtresse que de cousine. Prenez garde à quoi vous vous engagez: car enfin, quand je me serai une fois bien résolu à souffrir, je voudrai avoir les douceurs des amants aussi bien que les rudesses. Je sais que vous êtes chef des armes, et que je dois du respect à cette qualité; mais vous abusez un peu de mes soumissions...........

      «Au reste, ma belle cousine, je ne vous régale point sur la fécondité dont vous me menacez; car depuis la loi de grâce, on n'en a pas plus d'estime pour une femme; et quelques modernes même, fondés en expérience, en ont fait moins de cas. Tenez-vous-en donc, si vous m'en croyez, au garçon que vous venez de faire; c'est une action bien louable, et je vous avoue que je n'ai pas eu l'esprit d'en faire autant: aussi envié-je ce bonheur à M. de Sévigné plus que chose au monde.

      «J'ai fort souhaité que vous vinssiez tous deux à Paris quand j'y étais; mais maintenant que j'en suis parti, je serais bien fâché que vous y allassiez, c'est-à-dire que vous eussiez des plaisirs sans moi: vous n'en avez déjà que trop en Bretagne184

      Madame de Sévigné avait recommandé à Bussy un gentil-homme breton, nommé Launay-Lyais, volontaire dans les troupes qu'il commandait. Bussy, empressé à saisir toutes les occasions de faire sa cour à sa cousine, termine sa lettre en lui parlant de son protégé. «Il est honnête homme, dit-il, et ma chère cousine me l'a recommandé: je vous laisse à penser si je le servirai.» Il se garde bien de dire qu'il trouvait Launay-Lyais d'une vanité ridicule185. Un honnête homme recommandé par madame de Sévigné devait être à ses yeux un homme sans défaut.

      La campagne de Catalogne fut bien loin d'être aussi glorieuse que celle de Flandre: le vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nordlingen, celui qui le premier donna Dunkerque à la France, échoua devant la petite ville de Lérida, et fut obligé de faire retraite avec son armée186.

      Il alla tenir les états de Bourgogne à Dijon187, et bientôt après il répara l'échec que Lérida avait fait à sa gloire, par une nouvelle campagne en Flandre. Il prit Ypres le 27 mai, et chargea Bussy, qui ne l'avait point quitté, d'en aller porter la nouvelle à la cour188. Condé voulait par là non-seulement favoriser Bussy auprès des ministres et de la reine régente, mais encore lui donner les moyens de terminer une affaire qu'il croyait utile à sa fortune. Étrange aventure, qui doit être racontée en détail: elle fera le sujet du chapitre suivant.

      CHAPITRE X.

      1645-1649

      Bussy veut se remarier.—Il fait connaissance avec un nommé Le Bocage, qui lui indique une jeune veuve, belle et riche.—Il la voit, elle lui


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<p>178</p>

BUSSY, Discours à ses Enfants, p. 231.

<p>179</p>

SÉVIGNÉ, lettre du 30 août 1671, t. II, p. 173, édit. M., et t. II, p. 207, édit. de G. de S.-G.

<p>180</p>

BUSSY, Mémoires, édit., in-12, t. I, p. 125, ou de l'édition in-4o, t. I, p. 156.

<p>181</p>

BUSSY, Mém., in-12, t. I, p. 128; de l'in-4o, t. I, p. 157.

<p>182</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, édit. 1820, in-8o, t. I, p. 6, no 4, en date du 15 mars 1647, et t. I, p. 7 de édit. 1823, in-8o.

<p>183</p>

BUSSY, Mémoires, t. I, p. 128 et 129 de l'édit. in-12, et de l'in-4o, t. I, p. 159 et 160.

<p>184</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, édit. 1820, t. I, p. 7, no 5, en date du 12 avril 1647; et dans l'édit. 1823, t. I, p. 8.—BUSSY, Mémoires, t. I, p. 128 et 129.

<p>185</p>

BUSSY, Mémoires, t. I, p. 193.—Voyez ci-après, chap. XIV, p. 206.

<p>186</p>

BUSSY, Mémoires, t. I, p. 135 de l'édit. in 12, et de l'in-4o, 1696, t. I, p. 168.

<p>187</p>

Ibid., t. I, p. 151 et 157.

<p>188</p>

Ibid., t. I, p. 156.