Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1 - Charles Athanase Walckenaer


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et suppliait, les larmes aux yeux, qu'on allât avertir sa famille à Paris. Mais le nuage du poussière produit par tant de chevaux la dérobait en partie aux yeux de ceux à qui elle s'adressait; le vent, le bruit, et la rapidité de la marche, étouffaient ses cris et emportaient ses paroles.

      Dans la forêt de Livry, il fut impossible à l'escorte de se tenir sur les côtés du carrosse; une portion courut devant, et l'autre derrière. Madame de Miramion crut qu'en se jetant par la portière dans un taillis épais, elle ne serait pas aperçue, et pourrait peut-être se cacher et se sauver. L'exécution suivit la pensée: elle se précipita dans les ronces et les épines, et se fourra au milieu des plus épais buissons, sans songer qu'elle se mettait le visage tout en sang; mais elle fut bientôt poursuivie par ses ravisseurs; et, s'apercevant qu'elle ne pouvait pas leur échapper, elle voulut au moins éviter qu'ils ne la touchassent. Elle courut donc de toutes ses forces vers son carrosse, et s'élança dedans avant qu'on pût l'atteindre.

      Bussy fit faire halte dans la partie la plus solitaire de la forêt de Livry. Tous les hommes de l'escorte prirent à la hâte quelques rafraîchissements, et on en fit prendre également à toutes les personnes qui se trouvaient dans la voiture. Mais ce fut en vain qu'on pressa madame de Miramion d'imiter leur exemple: elle déclara qu'elle était résolue à n'accepter aucune nourriture tant qu'on ne lui aurait pas rendu sa liberté.

      Bussy, qui n'était pas encore revenu de l'erreur où l'avaient plongé les rapports du père Clément, étonné et inquiet de la résistance de madame de Miramion, se flattait que ce n'était qu'une feinte: il espéra qu'elle se calmerait s'il la débarrassait de la présence de sa belle-mère et de son vieil écuyer. En conséquence il les força tous deux à mettre pied à terre; il expulsa aussi du carrosse la vieille gouvernante. Il aurait voulu ne laisser auprès de sa captive que la demoiselle Gabrielle; mais il se vit forcé de souffrir que le laquais qui se trouvait derrière, et qu'il voulait renvoyer, continuât à accompagner sa maîtresse, parce qu'il se montra résolu à se faire tuer, plutôt que de la quitter. Bussy fit aussi abaisser les mantelets de la voiture, afin qu'on ne pût ni voir la belle éplorée, ni entendre ses cris, si elle en poussait encore.

      Ces arrangements pris, on repartit avec la rapidité de l'éclair. Madame de Miramion, recueillant ses forces et sa présence d'esprit, coupa avec un petit couteau qu'elle avait dans son sac les mantelets de sa voiture, et parvint ainsi à se mettre à découvert et à rétablir sa communication avec le dehors. Elle continuait ses exclamations et ses instances, et jetait de l'argent à tous ceux qu'elle rencontrait. Les marques de son désespoir, ses libéralités et ses prières devenaient surtout inquiétantes et embarrassantes pour ses ravisseurs, toutes les fois qu'ils étaient forcés de s'arrêter et de changer de chevaux; mais alors ils disaient à ceux qu'elle ameutait autour d'elle, que c'était une folle qu'ils allaient renfermer par ordre de la cour. Madame de Miramion, avec ses cheveux épars, sans coiffe, sans mouchoir sur son sein, les habits déchirés, les mains et le visage ensanglantés, ne donnait que trop de vraisemblance à ces assertions.

      Bussy en voyant les efforts de sa captive pour lui échapper, et les signes non équivoques de sa profonde douleur, acquit la triste certitude qu'il n'y avait rien de simulé dans sa résistance; et il lui fut démontré que jamais elle n'avait donné son assentiment à un enlèvement. Il affirme dans ses Mémoires qu'il eut dès lors la pensée de la reconduire chez elle, mais qu'il en fut dissuadé par son frère. Celui-ci lui représenta que lorsque l'effroi de cette course rapide serait dissipé, il serait possible, à force de témoignages de respect et de bons traitements envers la belle veuve, d'obtenir quelque changement à ses résolutions; et que dans tous les cas si on se décidait à lui rendre sa liberté, il valait mieux le faire à Launay même, afin qu'il fût bien constaté qu'on avait agi de plein gré. La suite du récit et le témoignage de madame de Miramion, que nous a transmis l'abbé de Choisy, prouveront, au contraire, que ce fut Bussy lui-même qui persista le plus longtemps dans ses projets coupables, et que ses amis et ses complices furent obligés de le forcer à y renoncer204.

      Enfin on arriva au château de Launay. Le fracas des chaînes de fer et des ponts-levis en s'abaissant, les sons lugubres et sourds que fit entendre le carrosse en roulant au-dessus des fossés, et sous la voûte obscure qui conduisait à la cour intérieure; le grand nombre de gentils-hommes armés qu'elle y vit rassemblés, et que Bussy avait réunis pour se défendre s'il était attaqué, ou si l'on entreprenait de pénétrer dans le château, tout contribua à accroître la terreur dont madame de Miramion était frappée. Elle ignorait les noms et les projets de ceux qui osaient se permettre envers elle tant de violence. La précaution qu'ils avaient prise de la séparer de sa belle-mère, le peu d'effet qu'avaient produit sur eux ses larmes et ses prières, les lui faisaient considérer comme des hommes féroces, inexorables, capables de tout. Aussi ne voulut-elle pas quitter sa voiture; et quand on eut dételé les chevaux, elle s'obstinait à y rester, et voulait y passer la nuit.

      Alors se présenta devant elle un chevalier de Malte, quelle reconnut pour avoir fait partie de l'escorte, et être du nombre de ses ravisseurs205. Il la supplia, dans les termes les plus respectueux, de vouloir bien descendre, et de consentir à entrer dans le château.

      Madame de Miramion, sans quitter sa place, demanda d'une voix ferme, à celui qui lui adressait ces paroles, si c'était par ses ordres qu'elle souffrait un pareil traitement. «Non, madame; c'est M. le comte de Bussy-Rabutin, qui nous a assuré avoir votre consentement pour vous conduire ici.»—«Ce qu'il vous a dit est faux!» dit-elle en élevant encore plus la voix.—«Madame, reprit le chevalier, nous sommes ici deux cents gentils-hommes amis de Bussy: s'il nous a trompés, nous vous servirons contre lui, et nous vous mettrons en liberté. Daignez seulement vous expliquer en présence de plusieurs de nous; et, en attendant, ne refusez pas de descendre et de vous reposer de vos fatigues.»

      L'air doux, compatissant et suppliant du chevalier inspira de la confiance à madame de Miramion; cependant elle ne voulut point monter dans les appartements, mais elle consentit à entrer dans une salle basse et humide, qui n'avait été nullement préparée pour la recevoir. On se hâta d'y faire du feu, on y porta les coussins de son carrosse pour qu'elle pût s'asseoir206. En entrant, elle vit deux pistolets sur une table, s'en saisit, et, remarquant qu'ils étaient chargés, elle les mit auprès d'elle, et parut un instant rassurée: mais sa femme de chambre s'étant levée pour sortir, elle la fit rasseoir, et lui dit: «Non, non, demeurez; vous ne me quitterez point.» On lui servit à manger: elle écarta d'elle les plats sans y toucher. Pour se dérober aux premières explosions de son courroux, Bussy s'était tenu à l'écart. Il était extrêmement surpris de la voir si exaspérée, si inébranlable dans ses résolutions.—«On m'avait assuré, dit-il à ses complices, que c'était un mouton, et c'est une lionne en furie.» Toutefois, comme il présumait beaucoup de lui-même, il ne désespéra pas encore de la fléchir; mais il crut devoir faire préparer les voies par une gouvernante du château et par les personnes les plus notables de son escorte. Toutes vinrent assurer à madame de Miramion que les projets de Bussy n'avaient rien que d'honorable; qu'il était pour elle le plus passionné, le plus soumis des amants; que si elle voulait consentir à l'épouser, elle trouverait en lui un mari aussi tendre que complaisant. On fit l'éloge de Bussy, de son caractère, de son esprit; on n'oublia pas de faire valoir ses richesses, son rang, son crédit à la cour, l'amitié qu'avait pour lui le prince de Condé; on expliqua la cause de l'erreur qui avait donné lieu à l'enlèvement. Aucun de ceux qui l'accompagnaient n'aurait consenti à le suivre si, comme lui, on n'avait pas cru que cet acte apparent de violence n'était qu'une feinte, et qu'il avait lieu de concert avec elle. On ajoutait que Bussy, désespéré de sa méprise et des reproches qu'elle lui attirait, n'osait paraître devant elle. Pourtant c'est à son confesseur tout seul qu'elle devait s'en prendre des violences dont elle était victime; le père Clément seul était coupable, Bussy était innocent.

      Ces explications, en faisant connaître à madame de Miramion la noire intrigue du père Clément, calmèrent un peu l'effroi qu'elle avait eu en entrant dans le château; mais elles excitèrent son indignation contre Bussy, qui parce qu'il se croyait puissant voulait la forcer à l'épouser, et employait de tels moyens pour y


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<p>204</p>

BUSSY, Mémoires, t. I, p. 161.—CHOISY, Vie de madame de Miramion, p. 13.

<p>205</p>

BUSSY, Mémoires, édit. in-12, t. I, p. 181; de l'édit. in-4o, t. I, p. 227.

<p>206</p>

Vie de madame de Miramion, t. I, p. 16, in-4o, et p. 17 de l'édit. in-12.