Poésies de Charles d'Orléans. Charles d'Orléans
les états tenus à Tours, en 1464, Charles d'Orléans osa vanter les douceurs de la paix publique et faire au roi quelques timides remontrances que son grand âge eût dû lui faire pardonner. Louis XI, furieux, interrompit violemment ces humbles paroles et accabla l'orateur d'insultes et d'outrages. Le vieillard épouvanté s'enfuit de Tours précipitamment; arrivé à Amboise, il expira le 4 janvier 1465.
Quand on lit Christine de Pisan, Eustache Deschamps, Alain Chartier, Martin le Franc et leurs contemporains, on se demande où notre poète a puisé cette élocution facile, ce vers net, incisif et nerveux, ce sentiment exquis de l'harmonie et de la pureté du langage qu'on retrouve jusque dans ses poésies les plus négligées. Charles d'Orléans apparaît au premier âge de notre littérature dans tout l'éclat d'un génie original; il ne copie ni ne singe personne; c'est un homme toujours lui, qui ne pose jamais, et qui donne aux moindres idées, aux plus fugitifs détails, une forme admirable d'élégance et de distinction; rien de guindé, rien de prétentieux, ni de préparé à l'avance; on pourrait faire avec son livre son histoire de chaque jour; il dit toute chose, et s'embarrasse peu si on l'écoute; il écrit pour lui, comme un voyageur sur son album; maintenant choisissez ce qui vous plaît, vous trouverez partout l'homme simple et bon, imprégné d'un parfum aristocratique qui assouplit merveilleusement sa voix. Dans la jeunesse, il vous parlera de ses amours; dans la prison, de ses ennuis; dans le château, de ses pères, de sa philosophie songeuse. Ne lui demandez pas des souvenirs trop lointains, il vit au jour le jour, ne s'inquiétant, ni de la veille, ni du lendemain; c'est une nature insouciante, timide, un peu molle et qui ne retrouve réellement sa vivacité que dans le vers qui échappe à sa pensée. Né poète, la poésie a été l'occupation de toute sa vie; les ballades, les rondels qui tombaient chaque jour de sa plume sont devenus peu à peu, et peut-être sans qu'il s'en doutât, un véritable monument poétique dont l'influence s'est étendue au loin dans les siècles suivants. Mais pour achever cette esquisse trop imparfaite, appelons ici à notre aide l'imposante parole d'un de nos plus ingénieux écrivains: «Il y a dans Charles d'Orléans, dit M. Villemain, un bon goût d'aristocratie chevaleresque, et cette élégance de tour, cette fine plaisanterie sur soi-même, qui semble n'appartenir qu'à des époques très-cultivées. Il s'y mêle une rêverie aimable, quand le poète songe à la jeunesse qui fuit, au temps, à la vieillesse. C'est la philosophie badine et le tour gracieux de Voltaire dans ses stances à madame du Deffant.» Et ailleurs: «Le poète, parla douce émotion dont il était rempli, trouve de ces expressions qui n'ont point de date, et qui, étant toujours vraies, ne passent pas de la langue et de la mémoire d'un peuple. Sans doute, quelques empreintes de rouille se mêlent à ces beautés primitives; mais il n'est pas d'étude où l'on puisse mieux découvrir ce que l'idiome français, manié par un homme de génie, offrait déjà de créations heureuses62.»
Note 62: (retour) Tableau de la littérature au moyen âge, par M. Villemain, t. II, p. 228 et 234.
Le suc poétique, si je puis dire ainsi, exprimé par Charles d'Orléans, a été soigneusement recueilli par Villon et par Marot; le premier y a déposé sa franchise quelque peu cynique, et le second sa verve étincelante, son vers correct et les traditions des littératures grecques, et et latines qui renaissaient. Ces trois éléments combinés dominent toute la poésie du seizième siècle. Ainsi pour apprécier, sous tous ses aspects, le livre de Charles d'Orléans, il faudrait analyser ces trois individualités et montrer l'effet qu'elles durent produire confondues. Nous laissons ces questions de haute critique à une main plus habile; d'ailleurs nous avons dû renfermer cette notice dans les bornes restreintes et modestes d'une biographie littéraire; nous n'ajouterons plus qu'un mot. De graves historiens ont prétendu que le duc d'Orléans, prince du sang royal de France, était resté au dessous de sa mission; ils lui ont fait un crime d'avoir soutenu mollement le drapeau de la révolte et de la guerre civile, et ils lui reprochent ses vers, en quelque sorte, comme des lâchetés. Voilà, en vérité, de singulières accusations. Eh bien, sauf le respect que nous devons à ces historiens, je crois que si au lieu d'assassiner leurs parents, d'avilir une monarchie qu'ils devaient protéger, délivrer leur pays aux Anglais, Jean sans Peur, le comte de Saint-Pol et le connétable d'Armagnac avaient employé leur loisir à rimer des ballades dans leur château, je crois, dis-je, que nos pères de ce temps-là en eussent ressenti quelques bons effets. Historiens, rassure-vous, les chefs politiques ne manqueront jamais à vos récits; mais des poètes comme Charles d'Orléans, on n'en trouve qu'un dans une littérature; ainsi, pardonnez-lui ses poésies.
J. MARIE GUICHARD.
LISTE DES AUTEURS
NOMMÉS EN TÊTE DE QUELQUES-UNES DES POÉSIES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
ALBRET (le cadet d'), 352, 356. ALENÇON (Jean II, duc d'), 271. BENOIT d'Amiens, 358, 359, 371, 390, 397, 418. BLOSSEVILLE (le vicomte de), 385. BOUCICAUT, 339, 340. BOULAINVILLIERS (Philippe de), 209, 353. BOURBON (Jean II, duc de), 235, 303, 309, 310, 334, 354, 383, 386, 391, 425. BOURGOGNE (Philippe-le-Bon, duc de), 152, 154. CADET (le), voy. Albret. CADIER (Guillaume), 424. CAILLAU (Jean), 104, 136, 278, 316, 380, 381. CAILLAU (Simonnet), 138, 341, 370, 395, 413. CHEVALIER (Pierre), 167. CLERMONT (compte de), voy. Bourbon. CUISE (Antoine de), 408, 409. DALEBRET, voy. Albret. FARET, 371. FRAIGNE, 238, 389, 405, 406. FREDET, 169, 176, 251, 279, 322, 325, 335, 341, 350. GARENCIÈRES (Jean de Montenay, sire de), 142. GEORGE, 337. GILLES, 349. GOUT (Étienne le), 269. LORRAINE (Jean, duc de), 342, 344, 345, 346, 372, 415, 416. LUSSAY (Antoine de), 348. MARCHE (Olivier de la), 336. MONTBRETON, 133. NEVERS (Charles de Bourgogne, comte de), 243, 319. ORLÉANS (Charles, duc d'), 103, 120, 121, 123, 141, 151, 153, 155, 158, 159, 166, 173, 234, 243, 244, 246, 248—250, 252, 260, 269, 271, 280, 311, 313, 320, 323, 334, 335, 336, 340—342, 346, 347, 350—352, 354—358, 360—368, 370, 372—389, 391—395, 397—405, 407, 409. 412—414, 417, 420, 423. ORLÉANS (Marie de Clèves, duchesse d'), 321, 347. OURMES (Gilles des), 137, 210, 349, 353, 396, 414. POT (Guiet), 348, 349. POT (Philippe), 348. ROBERTET, 133, 424. SECILE (René d'Anjou, roi de), 245, 248, 249, 250. SÉNÉCHAL (le grand), 384, 405. TIGNONVILLE, 360, 396. TORSY (le seigneur de), 333. TREMOILLE (Jacques, bâtard de la), 110, 351. VAILLANT, 102, 337, 338. VILLECRESME (Berthaud de), 135, 168, 387, 390. VILLON (François), 130. VOYS (Hugues le), 397, 400, 401.
POÉSIES DE CHARLES D'ORLÉANS
DE JEHAN DE LORRAINE, DE GILLES DES OURMES,
DU COMTE DE CLERMONT, DE SIMONNET ET DE JEHAN CAILLAU,
DE BERTHAULT DE VILLEBRESME, DE FREDET, ETC.
Au temps passé quant Nature me fist
En ce monde venir, elle me mist
Premierement tout en la gouvernance
D'une Dame qu'on appeloit Enfance;
En lui faisant estroit commandement
De me nourrir, et garder tendrement,
Sans point souffrir soing ou merencolie,
Aucunement me tenir compaignie;
Dont elle fist loyaument son devoir;
Remercier l'en doy pour dire voir.
En cest estat, par ung temps me nourry,
Et apres ce, quant je fu enforcy,
Ung