Une histoire d'Amour : George Sand et A. de Musset. Paul Mariéton
rel="nofollow" href="#ulink_1ccb1428-f727-529e-87b6-6f69f5df6e3d">(retour) Revue de Paris, 15 novembre 1896, p. 289.
Ainsi l'existence de George Sand n'allait pas sans complications, quand elle rencontra Musset.
III
Dans la biographie de son frère, Paul de Musset assure qu'il vit pour la première fois George Sand en un banquet offert aux rédacteurs de la Revue, chez les Frères Provençaux. Cette réunion n'a été précisée nulle part. La première pièce authentique qui témoigne de leurs relations est une poésie qu'Alfred de Musset adressa à George Sand, le 24 juin 1833, après une lecture d'Indiana. Elle était accompagnée d'un billet laconique et respectueux34:
Note 34: (retour) Toutes les lettres de Musset qui vont suivre sont inédites. On sait que la soeur du poète, Mme Lardin de Musset, s'est refusée jusqu'ici à la publication de sa correspondance avec George Sand. Nous la remercions encore de l'exception qu'elle a bien voulu faire en notre faveur, en nous laissant cueillir le plus intéressant de ces pages intimes.
On n'a conservé aucune des lettres de G. Sand à Musset antérieures à un billet de Venise (fin mars 1834).
Madame,
Je prends la liberté de vous envoyer quelques vers que je viens d'écrire en relisant un chapitre d'Indiana, celui où Noun reçoit Raymond dans la chambre de sa maîtresse. Leur peu de valeur m'avait fait hésiter à les mettre sous vos yeux, s'ils n'étaient pour moi une occasion de vous exprimer le sentiment d'admiration sincère et profonde qui les a inspirés. Agréez, Madame, l'assurance de mon respect.
ALFRED DE MUSSET.
Sand, quand tu l'écrivais, où donc l'avais-tu vue,
Cette scène terrible où Noun, à demi nue
Sur le lit d'Indiana s'enivre avec Raymond?
Qui donc te la dictait, cette page brûlante
Où l'amour cherche en vain, d'une main palpitante,
Le fantôme adoré de son illusion?
En as-tu dans le coeur la triste expérience?
Ce qu'éprouve Raymond, te le rappelais-tu?
Et tous ces sentiments d'une vague souffrance,
Ces plaisirs sans bonheur, si pleins d'un vide immense,
As-tu rêvé cela, George, ou t'en souviens-tu?
N'est-ce pas le réel dans toute sa tristesse,
Que cette pauvre Noun, les yeux baignés de pleurs,
Versant à son ami le vin de sa maîtresse,
Croyant que le bonheur, c'est une nuit d'ivresse,
Et que la volupté, c'est le parfum des fleurs?
Et cet être divin, cette femme angélique,
Que dans l'air embaumé Raymond voit voltiger,
Cette frêle Indiana, dont la forme magique
Erre sur les miroirs comme un spectre léger,
O George! N'est-ce pas la pâle fiancée
Dont l'Ange du désir est l'immortel amant?
N'est-ce pas l'Idéal, cette amour insensée
Qui sur tous les amours plane éternellement?
Ah! malheur à celui qui lui livre son âme!
Qui couvre de baisers sur le corps d'une femme
Le fantôme d'une autre, et qui sur la beauté
Veut boire l'Idéal dans la réalité!
Malheur à l'imprudent qui, lorsque Noun l'embrasse,
Peut penser autre chose, en entrant dans son lit,
Sinon que Noun est belle et que le temps qui passe
A compté sur ses doigts les heures de la nuit!
Demain viendra le jour; demain, désabusée,
Noun, la fidèle Noun, par sa douleur brisée,
Rejoindra sous les eaux l'ombre d'Ophélia;
Elle abandonnera celui qui la méprise,
Et le coeur orgueilleux qui ne l'a pas comprise
Aimera l'autre en vain,—n'est-ce pas, Lélia?
24 juin 1833.
Les lettres qui suivent sont courtes. Le poète est allé voir l'auteur d'Indiana. Ils ont parlé de leurs travaux. Elle écrit Lélia, lui un poème qui sera Rolla. Il lui en communique des fragments: «Soyez assez bonne, ajoute-t-il, pour faire en sorte que votre petit caprice de curiosité ne soit partagé par personne.»
Dans une de ses visites au quai Malaquais, Musset a été pris de crises d'estomac violentes. George Sand lui a écrit gentiment et il répond de même: «Votre aimable lettre a fait bien plaisir, Madame, à une espèce d'idiot entortillé dans de la flanelle comme une épée de bourgmestre. Que vous ayez le plus tôt possible la fantaisie de perdre une soirée avec lui, c'est ce qu'il demande surtout.» Point d'amour encore; mais George Sand ne s'est-elle pas prise d'un peu de curiosité à cette ombre de marivaudage?—A-t-elle fait les avances? Cette lettre de Musset le donnerait à supposer: elle témoigne du moins d'un degré de plus dans leur intimité.
Je suis obligé, Madame, de vous faire le plus triste aveu: je monte la garde mardi prochain; tout autre jour de la semaine ou ce soir même, si vous étiez libre, je serais à vos ordres et reconnaissant des moments que vous voulez bien me sacrifier.
Votre maladie n'a rien de plaisant, quoique vous ayez envie d'en rire. Il serait plus facile de vous couper une jambe que de vous guérir.
Malheureusement on n'a pas encore trouvé de cataplasme à poser sur le coeur. Ne regardez pas trop la lune, je vous en prie, et ne mourez pas avant que nous ayons exécuté le beau projet de voyage dont nous avons parlé. Voyez quel égoïste je suis; vous dites que vous avez manqué d'aller dans l'autre monde; je ne sais vraiment pas trop ce que je fais dans celui-ci35.
Tout à vous de coeur.
ALFRED DE MUSSET.
Note 35: (retour) Une note de G. Sand sur la correspondance autographe, attribue encore cette réflexion aux crises d'estomac de Musset (?).
Nous sommes en juillet. George Sand a terminé Lélia. Une de ses premières visites est pour son nouvel ami. «Un matin de juillet, m'a conté Mme Lardin de Musset, George Sand est venue voir mon frère à la maison. Je crois que nous étions absentes, ma mère et moi. Paul jouait du violon. Elle aperçut sur le pupitre un exemplaire d'Indiana. Il était resté ouvert à un passage très raturé de la main d'Alfred. Paul a pensé qu'elle lui avait gardé rancune de ces corrections36...»
Note 36: (retour) L'exemplaire en question d'Indiana a été conservé. On y trouve en effet un chapitre où les épithètes sont abondamment sacrifiées. La Revue des Deux Mondes