Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne. Isabelle de Montolieu

Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne - Isabelle de Montolieu


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ce que madame de Rindaw a pu vous confier; mais vous avez dû voir, par son exemple, que les beaux sentiments ne servent à rien, et par le mien, que l'on peut, que l'on doit toujours les sacrifier aux convenances. Si, en suivant cette belle passion, je n'avais point épousé votre mère, Caroline de Lichtfield serait-elle actuellement héritière de vingt-cinq mille écus de rente? Pourrait-elle prétendre au premier parti du royaume? Plus heureuse que moi, ma fille, tu n'as point de sacrifices à faire, puisque ton coeur est libre. Cette fortune immense, que tu me dois, te dispense d'en chercher ailleurs, mais non de remplir tous les voeux d'un père qui ne désire que ta gloire et ton bonheur. Tu n'as qu'à dire un mot, ils sont assurés pour la vie. — Et quel est ce mot, mon père? reprend Caroline avec une émotion qui s'augmentait à chaque instant. Mille idées confuses se croisaient dans sa tête: il s'agissait d'un mariage; cela n'était pas douteux. Elle pensa rapidement aux hommes qu'elle avait vus, et ne s'arrêta sur aucun, parce qu'ils lui étaient tous également indifférents. Elle attendait cependant avec impatience la réponse de son père: il avait l'air de la préparer.

      Vous ne connaissez encore, ma chère fille, lui dit-il d'un ton sentimental et pathétique, que les beaux côtés de votre situation; vous ignorez combien nos chaînes dorées sont quelquefois pesantes…… L'effroi se peignit dans les yeux de Caroline… Mais j'espère, ajouta-t-il, que celles qui doivent lier ma Caroline seront aussi douces, aussi légères qu'elle le mérite; elles seront du moins assez brillantes pour faire envier son sort à toutes les femmes. Dis-moi, mon enfant, ne seras-tu pas bien enchantée d'être dans quelques jours comtesse de Walstein, ambassadrice en Russie, et l'épouse du favori déclaré de ton roi? Ne crois pas, d'après cela, que je te destine à devenir la femme d'un vieillard. L'époux que je te propose doit ses honneurs à son nom, à son mérite, à la faveur dont il jouit; il n'a guère plus de trente ans. — Et je serai sa femme? dit Caroline en levant sur son père des yeux où brillait une modeste joie; je serai comtesse, ambassadrice? — Tu n'as qu'à dire un mot: Mon père, j'y consens, et je vous le promets. — Ah! de tout mon coeur, dit-elle en lui tendant la main et baisant les siennes avec transport. Oui, papa, je vous le promets, et j'obéirai avec plaisir… Mais…, mais, ajouta-t-elle après un instant de réflexion, où donc est-il ce comte? je ne l'ai jamais vu… Si j'allais ne pas l'aimer… ou ne pas lui plaire? — Vous l'épouseriez également, ma fille. Ce n'est pas votre coeur qu'on vous demande, c'est votre main; et c'est un monarque absolu qui vous fait l'honneur d'en disposer en faveur de l'homme qu'il aime le mieux. On se plaît toujours assez quand on réunit de part et d'autre toutes les convenances; cet établissement remplirait les voeux du père les plus ambitieux……

      Cependant Caroline demandait toujours où se cachait M. de

       Walstein, et pourquoi elle ne l'avait point vu.

      Son père lui apprit alors que le comte était arrivé, seulement de la veille de son ambassade de Saint-Pétersbourg; que c'était par l'ordre du roi qu'il était allé chercher sa fille à Rindaw pour la marier. La chanoinesse en était instruite; elle approuvait cette alliance.

      Le chambellan remit à Caroline une lettre de son amie, où celle-ci la pressait d'obéir à son père, et qui peut-être eût achevé de la décider quand elle aurait balancé; mais elle n'y songeait pas. Son père lui dit encore qu'elle serait déjà mariée, sans une maladie fâcheuse qui avait retenu le comte plus d'un mois à Dantzick: on avait même craint pour sa vie; et le chambellan n'avait pas cru devoir parler à sa fille d'un engagement qui peut-être allait se rompre de lui-même. J'en aurais été bien fâchée, dit la naïve Caroline. — Et moi peut-être plus encore, reprit le chambellan. On ne retrouve pas facilement un tel établissement; mais toutes mes craintes sont évanouies. Le comte arriva hier au soir très-bien portant. Le roi me fit appeler à l'instant, me présenta mon gendre futur, et m'ordonna de tout préparer pour qu'il le devînt au plus tôt. Je ne pouvais donc plus retarder de vous apprendre votre sort: il est fixé sans retour. Ma seule crainte était que votre coeur n'eût fait un choix parmi nos jeunes seigneurs, et que je ne fusse dans le cas d'exiger un sacrifice; mais je suis bien rassuré; je vois que vous sentez, comme vous le devez, les avantages de l'union que vous allez former. Je vais à la cour annoncer votre consentement, j'y dînerai, et ce soir je vous amènerai le comte. Allez vous habiller, ma fille, et vous préparer à le recevoir comme celui à qui vous appartiendrez dans quelques jours.

      La docile Caroline lui renouvela sa promesse. Il l'embrassa tendrement, et sortit bien content d'elle, et plus encore de lui-même et de ses talents pour les négociations.

      Il est certain que lorsque son intérêt était en jeu, il avait une certaine éloquence naturelle qui, dans l'occasion, lui tenait lieu d'esprit, de sensibilité, et le faisait parvenir à son but; mais cette fois il avait eu un peu de peine à réussir. Caroline n'aimait encore que le plaisir, et ne voyait dans ce brillant mariage qu'un moyen de le fixer: aussi ce fut la seule idée qui l'occupa lorsque son père l'eut laissée.

      On s'attend peut-être qu'elle va réfléchir bien sérieusement sur tout ce qu'on vient de lui dire, sur l'engagement qu'elle a pris, sur le changement prochain de son sort. A vingt ans, il y aurait là de quoi rêver au moins toute la matinée; mais à quinze, on ne peut s'occuper si longtemps du même objet. Cependant Caroline resta bien dix minutes immobile à la place où son père l'avait laissée; et c'était beaucoup pour elle. Enfin, voyant qu'à force d'avoir à penser, elle ne pensait à rien, et que ses idées s'embrouillaient dans sa tête, elle se leva brusquement, courut à son piano, où, pendant une demi-heure, elle joua des contre-danses et des valses. Il lui vint tout à coup à l'esprit, en les jouant, que le comte les répéterait avec elle, et qu'il serait assez doux d'avoir toujours un danseur à ses ordres… Un danseur!…. son excellence! Eh! oui, sans doute, un danseur. On sait que le baron avait eu soin de prévenir sa fille que, malgré son rang, ses dignités, M. l'ambassadeur n'avait tout au plus que trente ans, et cette circonstance lui plaisait peut-être tout autant que les titres. Quoique ce fût le double de l'âge de Caroline, elle avait fort bien remarqué depuis qu'elle était à la cour, que les hommes de trente et les femmes de quinze pouvaient se convenir parfaitement.

      Ce fut donc en formant un projet de danse continuelle dans son nouveau ménage, qu'elle courut au jardin cueillir son bouquet pour la soirée. Tout en le cueillant, elle vit voltiger autour des fleurs quelques beaux papillons, s'échauffa longtemps à les poursuivre, n'en prit pas un seul, et se consola en pensant que le comte serait peut-être plus leste qu'elle, et saurait mieux les attraper. Quand nos serons deux, dit-elle en sautant, ce serait avoir bien du malheur de les laisser échapper.

      Elle alla ensuite se mettre à sa toilette, où bientôt l'idée des bijoux qu'elle allait avoir, des parures de toute espèce, des équipages, etc., effaça celle des papillons et de la danse, ou plutôt la promena de plaisirs en plaisirs.

      Comme madame l'ambassadrice sera brillante, fêtée, enviée! comme de beaux diamants feront mieux dans mes cheveux que cette fleur! Enfin le bonheur conjugal de Caroline, fondé sur la danse, les papillons et la parure, lui parut la chose du monde la plus assurée. Elle se trouva d'avance la plus heureuse des femmes, employa tous ses soins pour être belle aux yeux du comte, et l'attendit avec une impatience mêlée tout au plus d'une sorte de crainte de ne pas lui plaire: quant à lui, elle était sûre qu'il lui plairait à l'excès.

      Caroline réfléchissait quelquefois. Une réflexion profonde l'avait persuadée que le comte était tout ce qu'il y avait de plus charmant. Il est le favori du roi, lui avait dit son père: or ce mot de favori signifiait beaucoup de choses dans l'idée de Caroline. Elle se rappelait fort bien qu'à la campagne elle avait aussi sa petite cour, et ses petits favoris: l'oiseau favori, le chien favori, le mouton favori, toujours les plus jolis de leur espèce: donc le favori d'un roi devait nécessairement être le phénix de la sienne, et le plus beau et le plus aimable des êtres.

      Elle en était si convaincue, et se réjouissait si fort de le voir, que, lorsqu'on vint l'avertir qu'il était là et que son père l'attendait, elle ne fit qu'un saut jusqu'à la porte du salon. Elle y trouva le chambellan, qui lui rappela sa promesse, lui prit une main qui tremblait peut-être autant de plaisir que d'émotion, et, l'exhortant à être bien raisonnable, la conduisit auprès de ce favori


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