Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne. Isabelle de Montolieu

Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne - Isabelle de Montolieu


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elle ne pensa ni à danser, ni à courir après des papillons: tristement appuyée sur une main dont elle se couvrait les yeux, elle était agitée de mille sentiments contraires, et semblait craindre de faire un seul mouvement, comme s'il pouvait décider de son sort. Quelquefois son enthousiasme filial se ranimait; sa tête s'exaltait en pensant au sacrifice qu'elle allait faire à son père. Il me devra la vie, disait-elle avec une tendresse mêlée d'admiration pour elle-même, qui produisait une sensation assez douce. Oui, mais à quel prix, et avec qui vais-je passer la mienne? Alors l'image du comte se présentait, celle du père s'effaçait; Caroline frémissait, et ne comprenait pas qu'elle pût avoir la force de tenir ce qu'elle avait promis.

      Elle était encore et dans la même attitude et dans le même trouble lorsque son père rentra avec précipitation, la joie peinte sur tous ses traits. Il put à peine lui dire, tant il était hors d'haleine, que le roi lui-même était en chemin pour venir chez elle, et lui amenait le comte. Oui, le roi en personne, répétait-il; cela fera du bruit, et ceux qui se réjouissaient hier de ma disgrâce pourront s'affliger ce matin. Voyez, Caroline, ce que c'est que d'être obéissante, et comme vous en êtes récompensée!

      La pauvre Caroline, peu sensible à cette récompense, n'y vit qu'une conformation du cruel engagement qu'elle venait de prendre, et qu'une raison de plus de s'affliger. Son père la gronda de n'avoir pas employé à sa toilette le temps de son absence. Quelques jours auparavant, elle eût été bien fâchée elle-même d'être surprise par le roi dans son négligé du matin; mais tout lui devenait si indifférent, qu'elle attendit cette auguste visite dans le salon sans avoir même jeté un coup d'oeil sur son miroir.

      Le baron lui répétait, pour la quatrième fois, comment elle devait recevoir le roi, quand le bruit des carrosses l'interrompit. Il courut au devant de son maître. La tremblante Caroline se leva, se rassit, respira des sels, et rassembla toutes ses forces pour cette pénible entrevue.

      Le monarque entra, suivi seulement de son favori et de son chambellan, que tant d'honneur gonflait de joie.

      Belle Caroline, dit-il en s'avançant près d'elle, et lui présentant le comte, soyez la récompense des services qu'il m'a rendus; et vous, mon cher comte, recevez de ma main celle de cette charmante épouse, et sentez bien tout le prix du présent que je vous fais.

      Le comte alors s'approchant de Caroline, et prenant cette main qu'elle retirait à demi, la pria, d'une voix basse et timide, de vouloir bien confirmer son bonheur.

      Pour le monde entier Caroline n'aurait pu articuler une seule parole. Si elle eût levé les yeux sur son futur époux, peut-être eût-elle trouvé la force de dire non; mais elle avait pris le sage parti de ne point le regarder. Elle se contenta d'une révérence respectueuse, et s'assit en silence par l'ordre du roi. Il en était temps; peu s'en fallut qu'elle ne réitérât la scène de la veille. Un tremblement général l'avait saisie. Elle fut encore obligée d'avoir recours à sa flacon, peut-être allait-elle se trahir par un évanouissement ou par un déluge de larmes; mais un regard jeté sur son père, près de se trouver mal lui-même d'inquiétude, lui rendit toute sa fermeté. Elle lui sourit à demi pour le rassurer, trouva la force de dire que ce n'était rien, et tout fut mis sur le compte de la timidité d'une jeune fille élevée à la campagne.

      Elle espérait que la compagnie allait se retirer, ou tout au moins changer de sujet de conversation; mais elle se trompait. Ce que les rois entendent le moins, c'est de ménager la sensibilité de leurs sujets. Celui-ci, charmé du mariage qu'il venait de conclure, ne pouvait parler d'autre chose; et, sans s'apercevoir de tout ce qu'il faisait souffrir à la pauvre petite, il s'appesantissait cruellement sur les détails. Il fallait indiquer le jour, l'heure, le lieu de la cérémonie. Enfin Caroline, n'y pouvant plus tenir, retrouva la parole pour demander la permission de se retirer: elle lui fut accordée; et sa Majesté ne manqua point, lorsqu'elle sortit, de la saluer sous le nom de comtesse de Walstein.

      La malheureuse petite comtesse, seule dans son appartement, s'affligea d'abord à l'excès. Enfin, après avoir beaucoup pleuré, elle comprit que cela ne changerait rien à son sort, qu'il était décidé sans retour, qu'il fallait bien s'y soumettre, et tâcher d'en tirer le meilleur parti possible.

      Qu'on ne s'étonne point de voir une étourdie de quinze ans raisonner aussi sensément. Rien ne forme une jeune fille comme le malheur; et ces trois jours de trouble, d'inquiétude, de chagrins, avaient plus appris à Caroline à réfléchir, que n'auraient fait dix années d'une vie tranquille. Elle entendit enfin partir le carrosse du roi avec moins d'émotion qu'elle ne l'avait entendu arriver; et son père eut le plaisir de la trouver assez calme lorsqu'il vint lui faire part des arrangements.

      Le mariage était fixé à huitaine. Le comte avait désiré qu'il fût tenu secret; aussi devait-il être célébré dans sa terre de Walstein, à six lieues de Berlin. Les fêtes, les présentations à cour, les visites, les présents, ne devaient avoir lieu qu'après la célébration.

      Caroline approuva fort ce projet, et demanda à son père de passer dans la retraite les huit jours de liberté qui lui restaient. Il était si content de sa docilité, qu'à la rupture près de son mariage, elle aurait pu lui demander tout sans crainte d'être refusée. Il le lui promit, et tint parole. Sa solitude ne fut interrompue que par quelques visites de son futur époux. Le baron se chargeait de l'entretenir, et pendant qu'ils se perdaient dans la politique, Caroline se confirmait dans la résolution qu'elle avait prise.

      Nous ne la suivrons point dans le détail des tristes idées qui l'occupèrent pendant ces huit jours. Il suffit de savoir qu'elle réfléchit plus qu'elle n'avait fait dans tout le cours de sa vie; nous verrons bientôt ce qui en résulta.

      Le temps passe dans la douleur tout comme dans le plaisir. Voilà bientôt Caroline arrivée à ce jour redouté qui doit la lier irrévocablement. Elle avait eu le temps de s'y préparer, elle paraissait tout à fait résignée; son père était au comble de la joie et des honneurs.

      Le monarque en personne voulait accompagner Caroline à l'autel. Il aurait bien désiré, le bon chambellan, que toute la terre en fût témoin; mais deux ou trois seigneurs et leurs épouses furent seuls nommés pour y assister. Il s'en consola, dans l'espoir d'avoir beaucoup de choses à raconter au retour.

      On part pour la terre du comte. La jeune fiancée, plus occupée que triste, soutint assez bien le voyage et même la cérémonie, qui se fit en arrivant; et son père, s'applaudissant de l'habileté avec laquelle il l'avait amenée à obéir, eut enfin le bonheur de la présenter au roi sous le titre de comtesse de Walstein. Ce fut le seul moment où la fermeté de Caroline parut l'abandonner. Troublée par les caresses du chambellan, qui l'accablait d'éloges, elle s'en défendait, le suppliait de l'épargner; et plus le père paraissait content, plus la tristesse de sa fille augmentait.

      On devait retourner le soir à Berlin, installer la jeune comtesse dans son nouvel hôtel, et l'on parlait déjà de repartir, lorsque, saisissant le moment où son époux était seul dans une embrasure de fenêtre, elle s'approcha de lui, lui présenta un papier, le suppliant de le lire avec indulgence, et passa dans un cabinet voisin, où elle lui dit qu'elle attendrait sa réponse et ses ordres. Surpris autant qu'on peut l'être, le comte ouvrit promptement le papier, et lut ce qui suit:

      "J'ai obéi, monsieur le comte, aux ordres absolus de mon père et de mon roi. Ils ont voulu me donner à vous, je vous appartiens donc à présent. Je suis à vous, uniquement à vous; je ne reconnais plus d'autre maître. C'est à vous seul à disposer actuellement de mon sort, et c'est de vous que j'ose attendre de la bonté, de l'indulgence, de la générosité. Oui, c'est à celui qui vient de jurer de me rendre heureuse, que je veux demander sans crainte ce qui peut assurer mon bonheur, et sans doute le sien. O monsieur le comte! vous ne savez pas, vous ne pouvez imaginer combien la petite fille à qui vous venez de donner votre main et votre nom en est peu digne encore! combien elle est enfant, peu raisonnable! combien elle a besoin de passer quelques années de plus dans la retraite, auprès de l'amie respectable qui lui servit de mère! Consentez, oh! consentez, de grâce, que je retourne ce soir même à Rindaw, et que j'attende là que ma raison ait fait assez de progrès pour me soumettre sans mourir aux liens que j'ai formés. Votre


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