Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne. Isabelle de Montolieu

Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne - Isabelle de Montolieu


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soins, de caresses pour lui faire supporter sa retraite. Depuis elle inclusivement, jusqu'aux petits animaux que Caroline avait élevés, tous les individus de château lui témoignaient à leur manière leur joie de son retour, et l'attachement qu'ils avaient pour elle.

      Le tendre coeur de Caroline n'y pouvait être insensible; et le charme attaché aux lieux où l'on a passé son enfance, la douceur d'être chérie de tout ce qui nous entoure, eurent leur effet ordinaire. Peu à peu elle reprit ses anciennes habitudes; ses occupations journalières redevinrent des plaisirs aussi vifs qu'avant son séjour à Berlin. Son parterre, négligé depuis son absence, retrouva, par, ses soins un nouvel éclat, et fut bientôt émaillé de mille couleurs. Sa volière se peupla d'oiseaux nouveaux. La récolte des foins, des blés, les nombreux troupeaux qui couvraient la prairie, les danses sous l'ormeau, les flageolets rustiques, l'amusèrent, l'intéressèrent tout autant qu'avant d'avoir vu les spectacles, les fêtes de la cour. Elle n'avait qu'effleuré tous ces plaisirs factices; ils l'avaient plutôt éblouie qu'enivrée. Les plaisirs simples et vrais de la nature, toujours préférés par ceux dont l'habitude du grand monde n'a point corrompu le coeur et le goût, les eurent bientôt effacés; et l'été s'écoula sans qu'elle eût éprouvé ni vide ni regret.

      Caroline avait rarement des nouvelles de Berlin. Son père, encore irrité contre elle et tout occupé de ses dignités, lui écrivait peu, et son époux jamais. Le chambellan avait encore un autre motif pour garder le silence; il espérait la ramener par l'ennui. Le comte ne voyait que l'embarras qu'elle aurait à lui répondre, et ne pensait qu'à le lui épargner; d'ailleurs il ne savait trop que dire lui-même à une enfant qu'il ne connaissait point, dont il n'était point connu, et qui ne voyait sans doute en lui qu'un tyran odieux. Espérant tout du temps, des progrès de raison, il prit patience, et repartit pour Pétersbourg bientôt après son mariage.

      Chargé, dans la suite, d'affaires très-importantes qui l'occupèrent entièrement, peut-être alors regarda-t-il comme un bonheur la fantaisie de sa jeune épouse, qui la plaçait tout naturellement, pendant son absence, comme il l'aurait désiré sans oser l'exiger.

      Il en résulta que Caroline n'eut pas passé trois mois à Rindaw, que tout ce qui lui était arrivé lui parut un songe dont elle se souvenait à peine, ou plutôt auquel elle ne pensait jamais. Elle éloignait elle-même de son esprit toute idée relative au comte, et personne ne cherchait à le lui rappeler. Son amie, s'étant aperçue qu'à ce nom seul un nuage obscurcissait ses traits, ne le prononçait plus. Son engagement s'effaça donc si bien de sa mémoire, que, si quelqu'un lui avait dit qu'elle était mariée, elle eût assuré de bonne foi, dans le premier moment, que cela ne se pouvait pas.

      Il ne lui resta de son séjour à la cour que la passion de perfectionner ses talents: l'hiver fut employé à cette occupation. De bons maîtres de musique et de dessin venaient de temps en temps cultiver ses dispositions naturelles. Elle y joignit l'étude de l'anglais et de l'italien: elle savait déjà le français. N'étant distraite par rien, ayant une mémoire de quinze ans, le plus grand désir de s'instruire et beaucoup de temps à elle, elle fit des progrès rapides. Son esprit s'ornait en même temps par des lectures suivies qu'elle faisait chaque soir à sa bonne maman: sa figure aussi gagnait autant que le reste à ce genre de vie paisible et réglé. Elle était d'ailleurs dans cet âge heureux où l'on embellit chaque jour, où chaque année qui s'écoule développe une grâce nouvelle, et ajoute aux attraits de l'innocence tous ceux de la jeunesse.

      Elle grandit. Sa taille se forma, s'élança, et prit toutes les proportions, tous les contours de la beauté. Son teint devint comme la rose naissante, elle en avait la fraîcheur et l'éclat. Une expression nouvelle anima sa physionomie. Ce n'était plus cette petite fille dont les regards vagues n'annonçaient que l'étourderie ou la timidité. Ses grands yeux bleu foncé brillaient quelquefois de tout le feu de l'intelligence et du génie, et lorsqu'ils étaient baissés et voilés à demi par de longues paupières, ils étaient l'image parlante de la modestie et de la sensibilité.

      Sa voix même devint plus douce, plus agréable, et elle apprit à la ménager. Sans être bien étendue, elle avait cette justesse, cette flexibilité qui plaisent bien davantage; et lorsqu'elle chantait des romances, lorsqu'elle s'accompagnait de la harpe ou de la guitare, on ne pouvait résister à la douce émotion qu'elle inspirait et qu'elle partageait elle-même.

      A tous ces talents elle joignait celui, plus rare peut-être qu'on ne le pense, d'être toujours mise avec une élégance noble et simple, qui ajoutait encore à tous ses charmes. Une robe de mousseline ou de toile, serrée par une ceinture de velours noir, marquait, sans la gêner, sa taille souple et déliée; un chapeau de paille ombragé de plumes rassemblait une forêt de cheveux blond cendré; les boucles qui s'échappaient retombaient avec grâce sur un cou d'albâtre, et son joli pied n'aurait pas eu besoin, pour paraître avec avantage, du petit soulier noir qui l'enfermait.

      Telle était Caroline à seize ans; et tant d'attraits n'étaient vus, tant de talents n'étaient admirés que de la bonne chanoinesse, qui en était, il est vrai, toute extasiée, et qui ne cessait de regretter les temps heureux de la chevalerie, où sa Caroline aurait été sans doute le but de tous les exploits, l'objet de tous les tournois, et la récompense de la valeur.

      Oh! combien de fois, en la regardant jura-t-elle ses grands dieux que le comte de Walstein ne posséderait jamais tant de charmes! Comme elle aurait été furieuse, si elle avait su qu'ils lui appartenaient déjà, et que c'était pour lui seul que Caroline embellissait! Elle trouvait qu'elle méritait pour le moins un prince; mais elle lui désirait plus encore, un mari tel qu'elle en avait vu dans les romans, beau comme Esplandian, fidèle comme Amadis, tendre comme Céladon, et s'étonnait beaucoup qu'ils n'accourussent pas en foule à Rindaw se disputer la main de la charmante Caroline.

      Quant à sa jeune pupille, elle ne désirait que de rester comme elle était alors. Sa vie paisible et toujours occupée lui paraissait le comble du bonheur; quelquefois seulement, lorsqu'elle était seule, et même au milieu de ses occupations les plus chères, elle éprouvait une sorte de mélancolie douce, ou de rêverie vague et sans objet, dont elle ne pouvait se rendre raison. Cette espèce de tristesse était bien différente de celle que lui avait occasionnée son mariage. Celle-là était un état très-pénible; celle-ci, au contraire, avait un attrait incroyable. Si elle ne l'avait pas surmontée avec effort, elle serait restée des heures entières à rêver doucement, sans pouvoir dire à quoi.

      Tout en rêvant et en s'occupant, l'hiver s'écoula assez vite. Tous les moments de Caroline étaient remplis; et il n'y a rien de tel pour les abréger. Elle fut charmée cependant du retour du printemps; mais à peine avait-elle commencé d'en jouir, que son tranquille bonheur fut cruellement troublé.

      Sa bonne maman, qui, depuis quelque temps, était languissante, tomba dangereusement malade. Il faudrait avoir le coeur de Caroline, savoir à quel point elle lui était attachée, pour exprimer l'excès de son inquiétude et des soins qu'elle lui rendit: pendant près d'un mois que dura le danger, elle ne quitta pas son chevet; et c'était avec peine qu'on pouvait obtenir d'elle de prendre quelques instants de repos.

      On croira peut-être que la crainte de retomber, par la mort de son amie, au pouvoir de son père et de son mari, causait cette douleur si vive. Non; cette pensée, toute naturelle qu'elle était, ne se présenta pas une fois à son esprit; absorbée dans le chagrin, uniquement occupée à soigner son amie, à adoucir ses souffrances, Caroline ne pensait pas à elle-même.

      Si, pour la rendre à vie, il eût fallu consacrer la sienne au comte, elle y eût consenti sans balancer un instant; mais elle ne fut point mise à cette cruelle épreuve, et le ciel, touché de ses larmes, lui en conserva l'objet; la bonne chanoinesse se rétablit peu à peu. Les tendres soins de son élève y contribuèrent plus peut-être que les secours de la médecine: du moins le disait-elle.

      Elles eurent, à cette époque, la visite du grand chambellan. Alarmé du danger de son ancienne amie, il accourut à Rindaw avec l'espoir secret de ne plus la retrouver, et de pouvoir ramener sa fille; mais toujours contrarié dans ses projets, il trouva la malade presque convalescente, et Caroline transportée de joie, qui ne pouvait se lasser de la regarder, et ne la perdait


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