Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne. Isabelle de Montolieu

Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne - Isabelle de Montolieu


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les temps, et rire et chanter les jours pluvieux comme ceux où le soleil le plus brillant éclairait l'horizon.

      Elle s'impatientait si fort de le revoir ce soleil, que cette journée se passa à consulter tous les baromètres et tous les gens de la maison, et à regarder à chaque instant si le ciel s'éclaircissait: il fondait toujours en eau. Enfin, sur le soir, un léger nuage de pourpre donna quelque espérance; un vent frais la confirma, et le lendemain, en ouvrant les yeux, Caroline eut le plaisir de voir les rayons du soleil percer à travers ses rideaux, et le jour le plus pur éclairer son appartement.

      La contrariété qu'elle avait éprouvée en augmenta la prix. A peine put-elle attendre que les chemins fussent essuyés, pour courir au pavillon. Mais ses fleurs tant regrettées n'eurent ni ses premiers regards ni ses premiers soins.

      Elle est à la croisée, les yeux attachés sur la route, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre. Elle regarde, elle écoute, et ne voyant, n'entendant rien, elle cherche à remarquer sur le terrain humecté si elle n'apercevra point les traces fraîches des pas d'un cheval. Oh! si je pouvais seulement savoir qu'il est passé, et qu'il n'a point eu d'accident! je serais tranquille et contente; car, au fait, si je n'étais pas restée, s'il ne m'avait pas saluée, son cheval ne l'aurait point emporté: mais que je l'aperçoive seulement, et je me retirerai, pour qu'il ne soit plus tenté de me saluer.

      Au même instant elle fit plus que de l'apercevoir; elle le vit très-distinctement, portant le même uniforme, montant le même cheval gris, et s'avançant au grand trot du côté du pavillon, dont il était encore assez éloigné. Eh bien, il se porte à merveille: et voilà sans doute Caroline tranquille; elle va se retirer, comme elle se l'est promis, et n'y plus penser.

      Mais pourquoi ce léger tremblement dont elle est saisie? D'où vient cette émotion qui colore ses joues et précipite les battements de son coeur? Je n'en sais rien; mais je sais bien qu'elle l'éprouve, et que tous ses mouvements s'en ressentent. Elle veut s'éloigner de cette croisée. Son mouchoir, qu'elle avait posé sur la tablette, et sur lequel elle était appuyée, n'étant plus retenu, s'échappe, et tombe dans le chemin: elle en fut au désespoir. Cet accident était bien involontaire, et pouvait ne pas en avoir l'air: elle sentit aussi que c'était bien pis que le salut qu'elle voulait éviter, et qu'il est encore plus difficile, lorsqu'on est à cheval, de ramasser un mouchoir que d'ôter son chapeau.

      Ce calcul était juste; mais celui qu'elle fit sur les distances l'était moins. Elle jugea que le cavalier était encore assez éloigné du pavillon pour qu'elle eût le temps d'aller reprendre bien vite son mouchoir, et d'être rentrée avant qu'il passât sous la croisée. Cette idée lui parut excellente: elle remédiait à tout; c'était même le seul moyen de prouver bien clairement que le mouchoir n'avait pas été jeté tout exprès pour qu'on le lui rapportât; mais elle n'avait pas de temps à perdre en réflexions.

      Elle courut aussi vite qu'elle le put à la petite porte qui donnait sur la route, et l'ouvrit précisément au moment où l'officier, déjà descendu de cheval, relevait le mouchoir. Il s'approche d'elle avec grâce et noblesse, et le lui présente en lui adressant un compliment flatteur. Elle reçut lui et l'autre d'un air très-déconcerté, et ne sut que lui répondre lorsqu'il lui demanda la permission de voir de plus près ce jardin et ce pavillon, qui lui paraissaient charmants.

      Prenant le silence de la tremblante Caroline pour un consentement, il attacha promptement son cheval à la porte même, et la suivit. Elle avait bien le sentiment secret qu'elle aurait dû l'en empêcher; mais comment? Voilà ce dont elle n'avait pas même l'idée; peut-être aussi n'y vit-elle pas grand mal. Son innocence, sa parfaite ignorance du monde, lui cachaient le danger de recevoir un inconnu. D'ailleurs, l'uniforme, et plus encore les manières nobles et aisées de cet inconnu, annonçaient un homme d'une naissance distinguée: il avait cette politesse naturelle, ces grâces, ce ton de la bonne compagnie, qui ne permettent pas de douter qu'on en fait partie.

      Je ne parle point d'une figure charmante, Caroline osait à peine le regarder. Cependant elle pourrait déjà nous dire que ses grands yeux noirs sont remplis de feu et d'expression; que le sourire le plus agréable laisse voir de très-belles dents; que son nez est aquilin, son visage ovale, ses sourcils très-marqués, sa taille haute, svelte et proportionnée; que son teint brun est animé des couleurs de la jeunesse et de la santé; que sa physionomie, ouverte et franche, inspirait la confiance et l'amitié au premier abord.

      Voilà ce que les regards furtifs de la jeune comtesse avaient très-bien su remarquer, et ce qui pourrait peut-être excuser la facilité avec laquelle elle l'introduisait dans le pavillon, à moins qu'on n'aime mieux la rejeter uniquement sur l'innocence. Quoi qu'il en soit, il y est: il regarde, il admire, il loue avec esprit et sans fadeur le goût, les talents de celle qui l'a décoré. L'autel et les peintures le frappent: il en demande l'explication, on la lui donne, et il saisit cette occasion d'apprendre adroitement où il est, et avec qui il est, sans avoir l'air de s'en informer; mais les noms de baronne de Rindaw et de Lichtfield ne le rendirent ni plus honnête, ni plus respectueux, parce que c'était impossible. La guitare et la romance, encore posées sur le clavecin, l'engagent à dire un mot en souriant du second dessus, et à demander pardon d'avoir osé mêler sa voix aux accents flatteurs qu'il entendait, et qu'il voudrait bien entendre encore; mais voyant l'embarras de Caroline augmenter, il n'insista pas, parla de musique en homme qui s'y connaît, et fut le premier à proposer de sortir du pavillon, et de se promener dans le jardins.

      Caroline commençait à se rassurer. La conversation de l'inconnu, simple, agréable, animée, devait la remettre à son aise, et produisit cet effet. Au bout de quelques instants de promenade, elle lui parlait aussi naturellement que si elle l'eût connu toute sa vie.

      Elle lui raconta naïvement tout l'effroi qu'elle avait eu du cheval s'emporter, et son inquiétude pendant ces deux jours de pluie. Mais quelque envie qu'elle eût de savoir son nom, elle n'osa jamais le lui demander. Elle apprit seulement qu'il était capitaine aux gardes, et son voisin de campagne. Ces deux circonstances lui firent un grand plaisir: l'une l'assurait qu'il était un homme à voir, et l'autre, qu'elle le reverrait. Enfin, au bout d'un quart d'heure, qui leur parut bien court à tous deux, le fougueux cheval gris attaché à la porte s'impatienta si fort, que son maître fut obligé, bien malgré lui, de remonter dessus.

      En vérité, lui dit Caroline pendant qu'il le détachait, à votre place je n'aimerais point un cheval qui ne veut ni qu'on salue ni qu'on se promène. L'inconnu, en souriant, lui assura qu'il serait certainement réformé, qu'il lui jouait de trop mauvais tours pour ne pas s'en défaire, et, sautant légèrement dessus, après remercié mille fois Caroline de sa complaisance, il s'éloigna d'elle le plus lentement qu'il lui fut possible, obligeant cette fois son cheval à n'aller que le pas.

      Et Caroline aussi revint lentement au pavillon, lorsqu'elle l'eut perdu de vue. Sa tête et même son coeur étaient uniquement occupés de celui qu'elle venait de quitter. Qu'il est aimable! pensait-elle; et pourquoi le ciel ne m'a-t-il pas accordé un frère comme lui? Oh! combien je l'aurais aimé! Mais pourquoi ne l'aimerais-je pas comme un frère, comme un ami, que le ciel m'envoie dans ma solitude? Eh! qui m'a dit que je le reverrais…. peut-être de ma vie?… Je ne sais quelle triste pensée vint se joindre à celle-là. Caroline sentit son coeur oppressé et ses yeux humectés de larmes: elle en fut elle-même effrayée; et, voulant se distraire, elle eut recours à sa musique; mais ces deux jours de pluie avaient relâché les cordes de sa harpe et de sa guitare, elle fut obligée de les laisser; et après avoir joué sur le piano-forté quelques adagio qui ne firent qu'augmenter sa tristesse, elle essaya le dessin, qui ne lui réussit pas mieux, et la lecture encore moins: trois ou quatre livres qu'elle ouvrit lui parurent ennuyeux, mal écrits, quoiqu'elle en lût à peine une phrase; enfin, tout lui déplaisait ce jour-là. Elle laissa tout, revint au jardin, et fit exactement le même tour qu'elle venait de faire avec l'inconnu, s'arrêtant aux mêmes endroits, et se rappelant jusqu'à la moindre de ses expressions.

      Il fallut ensuite décider en elle-même la grande question de savoir si elle en parlerait ou non à sa bonne maman. Elle souffrait de lui faire encore ce mystère; mais il était bien moins essentiel que celui qu'on exigeait d'elle. L'habitude de cacher un tel secret avait dû nécessairement


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