Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne. Isabelle de Montolieu

Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne - Isabelle de Montolieu


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En formant un tendre lien,

       En perdant ton indifférence,

       Tu vas connaître le vrai bien.

      Elle la chantait un jour dans le pavillon, et cette fois-là c'était avec sa guitare. Elle répétait avec expression: O ma paisible indifférence! vous êtes mon unique bien, lorsqu'elle entendit une autre voix aussi douce, aussi mélodieuse que la sienne, mais plus forte et plus sonore, qui chantait en second dessus: Oh! perdez cette indifférence, et vous connaîtrez le vrai bien.

      Ces accents, biens différents des chants rustiques auxquels elle était accoutumée, la surprirent beaucoup. Elle se tut, écouta; et, n'entendant plus rien, elle recommença à chanter plus doucement, à s'accompagner plus légèrement, et à entendre plus distinctement la voix qui la suivait. Alors, sa guitare à la main, elle courut à la croisée qui donnait sur la route. Elle entrevit, à quelques pas d'elle, un beau jeune homme en habit de chasse, appuyé sur un fusil, dont les regards étaient attachés sur le pavillon. C'était sans doute le chanteur en question; je dis qu'elle ne fit que l'entrevoir, parce qu'au même instant où elle l'aperçut, interdite et confuse d'avoir été entendue et d'être vue, elle recula bien vite au fond du pavillon; et là, s'élevant sur la pointe des pieds, et tendant le cou, elle regarda de toutes ses forces du côté qu'elle venait de quitter. Mais elle était trop éloignée; elle n'aperçut rien. Elle aurait bien voulu chanter sa romance, seulement pour voir si on l'accompagnerait encore; mais la voix lui manqua, elle n'osa jamais, et put à peine toucher légèrement quelques cordes de sa guitare.

      Enfin, pressée par la curiosité, après avoir fait quatre pas en avant et autant en arrière, elle reprit courage, et se retrouva devant la croisée. Le beau chasseur n'était plus là. Elle le vit à vingt pas dans le chemin, s'éloignant lentement, et tournant la tête à chaque instant du côté du pavillon.

      Cette petite aventure n'était rien, moins que rien assurément. Un homme passe par hasard, en chassant, devant un pavillon neuf et très-orné, il le remarque; il entend une musique délicieuse, il l'écoute; il voit à une croisée une femme charmante, il la regarde.

      Il n'y a rien dans tout cela que de naturel, et cependant Caroline en fut occupée toute la journée, comme d'un événement fort extraordinaire. Il est vrai que tout devait faire événement pour elle; et tout être qui interrompt une solitude aussi profonde que l'était la sienne devient un être très-intéressant.

      Elle pensa donc souvent à celui-ci. Elle se demanda cent fois qui ce pouvait être, et ce qu'il faisait là sur cette route écartée. Mais elle n'en parla point, parce qu'elle eut une idée vague qu'on pourrait lui interdire son cher pavillon, et que c'eût été lui ôter la vie.

      Elle y vola le lendemain plus vite encore qu'à l'ordinaire; et après avoir passé près d'un quart d'heure à la croisée qui donnait sur le chemin, et s'être assurée, en regardant beaucoup de tous côtés, qu'on ne pouvait ni la voir ni l'entendre, elle prit sa guitare, s'assit dans l'embrasure de la croisée, et chanta sa romance favorite depuis le premier couplet jusqu'au dernier; et ce dernier, qu'elle avait toujours aimé moins que les autres, lui plut assez ce jour-là. Elle le répéta deux fois, puis elle recommença toute la romance d'un bout jusqu'à l'autre. Elle l'accompagna sur la harpe, mais non pas sur le piano-forté. Il était à l'autre bout du pavillon, et Caroline se trouvait si bien auprès de cette croisée! Elle nota le second dessus qu'elle avait entendu la veille; elle répéta sur tous les tons, que sa paisible indifférence était son unique bien, et personne ne vint lui dire le contraire.

      Enfin, ennuyée et peut-être un peu dépitée de chanter si longtemps toute seule, elle jeta là sa musique, posa ses instruments, courut au jardin, cueillit des fleurs, en remplit confusément une petite corbeille qui se trouvait là, et, ne sachant à quoi s'amuser, elle se mit à la peindre. D'abord elle eut un peu de peine à se fixer. Elle regardait plus souvent la croisée que son vélin; mais peu à peu son ouvrage l'attacha et l'occupa tout entière. Elle y travaillait avec application, et les fleurs naissaient sous son pinceau, lorsqu'elle entendit tout à coup dans le lointain le galop d'un cheval. Ce bruit la surprit autant que le second dessus de la veille. Il ne ressemblait point au pas lent et pesant des chevaux du village.

      Le pinceau fut bien vite jeté, peut-être au milieu du tableau; et voilà Caroline à la croisée, regardant de tous côtés.

      Elle vit à cinquante pas un très-bel homme monté sur un cheval gris, fringant et fougueux, qu'il maniait avec grâce. Voyez comme les femmes ont le coup d'oeil juste et perçant! Elle avait à peine entrevu l'étranger de la veille; il était en habit de chasse vert, celui-ci en uniforme des gardes; il était à pied, celui-ci à cheval; il chantait, celui-ci galopait. Jusque-là il n'y a nul rapport, et cependant Caroline le reconnut à l'instant pour être exactement le même et c'était véritablement l'homme au second dessus. Comment résister à l'envie de le voir passer, et de savoir s'il montait aussi bien à cheval qu'il accompagnait les romances?

      Il avançait cet homme, ou plutôt son cheval, qu'il avait peine à dompter et à conduire, et qu'il oublia dès qu'il aperçut Caroline. Il voulut la saluer; mais l'animal profitant de la liberté qu'on lui laissait, peut-être effrayé du mouvement, fit un écart prodigieux, qui aurait désarçonné un cavalier moins ferme, et partit au grand galop comme un éclair, emportant son homme, malgré tous les efforts de celui-ci pour le retenir. Caroline, très-effrayée, jeta un cri perçant, et les suivit des yeux aussi loin qu'elle le put. Ils disparurent bientôt à sa vue; mais elle ne fut ni plus rassurée ni plus tranquille, et regarda bien longtemps encore après qu'elle eut cessé de les apercevoir. Elle se représentait le cavalier tombé de son cheval, foulé, blessé, écrasé… Si du moins ce maudit cheval s'était emporté dans le village, on aurait pu l'arrêter, donner des secours à son maître, le recevoir au château. Elle eut bien l'idée d'envoyer sur-le-champ un domestique…..mais après qui? Elle l'ignorait elle-même; et sur quelle route? Il y en avait plusieurs qui se croisaient là. D'ailleurs, il n'est pas aisé de courir après un cheval emporté; et puis comment en donner l'ordre? Elle ne l'oserait jamais; et il fallut bien rester avec son inquiétude.

      Elle chercha à la calmer, en se rappelant comme cet officier montait bien, comme il avait l'air ferme et sûr avant ce malheureux salut qu'elle se reprochait. Elle espéra que le maître n'ayant plus personne à saluer, le cheval se serait calmé; elle eut même l'idée qu'il pourrait bien passer encore le lendemain.

      En vérité il le devrait, dit-elle, pour me rassurer. L'émotion lui ayant ôté l'envie de chanter et de dessiner, elle fit quelques tours dans le jardin, toujours pensant au cavalier, et revint auprès de sa bonne maman, à qui elle n'en parla point, sans doute pour ne pas lui faire partager son effroi. Elle se coucha avec l'impatience d'être au lendemain, et l'espérance que le jour ne passerait pas sans qu'elle fût rassurée sur la vie de l'inconnu. Hier, c'était simple curiosité qui l'agitait en pensant à lui; aujourd'hui l'humanité s'y joint pour un pauvre homme en danger. Après s'en être beaucoup occupée par bonté d'âme, elle s'endormit bien en colère contre les chevaux fougueux, qui ne permettent pas d'être honnête impunément.

      Le lendemain… le lendemain, il tomba des torrents de pluie toute la journée. Il fut aussi impossible d'aller au pavillon, que d'imaginer qu'on pût monter à cheval. Caroline, fort contrariée, trouva la journée d'une longueur assommante, s'ennuya à la mort, et ne sut à quoi s'occuper. Tout était au pavillon, et ses livres, et sa musique, et ses crayons. Elle aurait bien voulu y être aussi, mais c'était impossible. On causa comme on put avec la bonne amie; on parla même avec assez d'intérêt de la pluie et du beau temps; on fit des voeux très-sincères pour le retour de ce dernier; on chanta quelquefois le refrain de la romance, en pensant au second dessus, et au cheval qui galopait; et la journée s'écoula dans l'espérance du lendemain.

      Ce lendemain… hélas! il pleuvait encore plus que la veille. Tous les nuages semblaient s'être donné rendez-vous à Rindaw. Pour le coup, Caroline prit tout de bon de l'humeur, et le témoigna de bonne foi. "Voyez que c'est affreux! disait-elle à la baronne; ma corbeille qui est commencée; mes fleurs que je retrouverai toutes fanées; et celles du jardin que cette malheureuse pluie abîme! Je suis


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