Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne. Isabelle de Montolieu

Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne - Isabelle de Montolieu


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les croisées, des peintures emblématiques rappelaient l'objet pour lequel ce pavillon était élevé.

      Dans l'un, on voyait Caroline à genoux devant une statue d'Esculape, l'invoquant avec ardeur, en lui montrant son amie expirante.

      Dans le second panneau, elle lui aidait à se soulever, pendant que de petits génies dansaient autour d'elle, écartaient les coussins, renversaient une petite table chargée de remèdes, et brisaient la faux de la mort, qui s'enfuyait dans le lointain.

      Dans le troisième, on élevait le pavillon. Caroline posait le buste sur l'autel, le génie de l'amitié et celui de la reconnaissance écrivaient l'inscription.

      Enfin, dans le dernier, on la voyait soutenir d'une main la chanoinesse, dont l'attitude exprimait la surprise et la joie, et lui montrer de l'autre le petit édifice dont elle lui faisait hommage. Derrière ces panneaux, on avait pratiqué des armoires pour des livres; une petite cheminée dans une des croisées; une table ronde dans le milieu; autour, des siéges portatifs et commodes.

      Rien n'était oublié, et tout avait été conduit par une enfant de seize ans; mais cette enfant était guidée elle-même par un sentiment vif, tendre, qui remplissait actuellement son coeur. Son ignorance totale de toute autre espèce d'affection tournait au profit de l'amitié; et cette âme aimante, ne connaissant encore d'autre objet d'attachement que son unique amie, avait concentré sur elle seule toute sa sensibilité, que la crainte de la perdre avait encore animée.

      Caroline était d'ailleurs dans l'âge où le génie se développe, où l'esprit, l'imagination ont un feu, une activité qui demandent de l'aliment. Indépendamment du plaisir qu'elle préparait à son amie, elle en eut beaucoup, pour son propre compte, à faire construire ce petit édifice. C'était en quelque sorte créer. Chaque idée nouvelle était une vraie jouissance, et l'exécution et l'effet lui causaient des transports de joie incroyables. Jamais peut-être Caroline ne fut plus heureuse que pendant cette douce occupation; elle l'a dit souvent depuis, et n'a jamais revu ce monument sans émotion.

      Que le lecteur se représente, s'il le peut, l'extase de la sentimentale chanoinesse. C'était vraiment une surprise de roman faite exprès pour elle….. Ce pavillon, qui se trouvait là comme par enchantement…. On la voit serrer dans ses bras l'intéressante petite fée à qui elle doit ce prodige. On voit celle-ci tomber à ses pieds, baiser ses mains, exprimer, par son touchant silence, tout ce qu'elle sent, et toutes les deux ensemble verser les douces larmes du sentiment et de la reconnaissance.

      Caroline goûta dans ce instant le bonheur le plus pur, sans aucun mélange de peines, sans qu'il fût troublé par aucune idée fâcheuse.

      Quel âge heureux que celui où le moment présent est tout, où l'on en jouit avec transport, sans souvenir du passé et sans crainte pour l'avenir!

      Le séjour de Rindaw était alors l'univers entier pour Caroline, et son petit pavillon le temple du bonheur. Elle en était engouée au point d'y passer exactement tout le temps qu'elle n'était pas auprès de son amie. Dès qu'elle la quittait, c'était pour voler au pavillon, dont elle avait toujours de la peine à sortir. Sa construction élevée et terminée par un dôme était si favorable à la musique!… Tous les instruments y furent portés, et bientôt il ne fut plus possible d'en jouer ni de chanter autre part que dans le pavillon. Le jour était excellent pour le dessin. Au moyen des quatre croisées et des jalousies, on pouvait, à toutes les heures, avoir celui qu'on voulait, et tout l'attirail nécessaire à la peinture y fut aussitôt établit. On y lisait si tranquillement, sans bruit, sans distraction, la bibliothèque de Caroline y fut toute transportée; enfin, elle n'eut presque plus d'autre appartement. Elle n'entrait dans le sien que pour faire sa toilette a la hâte; et souvent dans celui de sa bonne maman, elle se surprit avec l'impatience d'en sortir: tant il est vrai qu'une passion nouvelle peut anéantir toutes les autres! Il faut cependant rendre justice à Caroline: elle désirait plus vivement encore que son amie pût venir habiter avec elle le pavillon. Celle-ci, qui n'avait de plaisirs que ceux de son élève, riait de son engouement, et lui facilitait les moyens de s'y livrer. Voyons s'il durera, et si longtemps encore elle aimera son pavillon pour lui seul. Jusqu'à présent sa vie tranquille s'est écoulée entre l'étude et l'amitié, sans qu'aucun sentiment plus vif en ait troublé le cours, sans qu'elle ait connu ni l'amour ni la haine: car sa répugnance pour le comte, sa crainte de vivre avec lui, n'étaient pas de la haine; et si par hasard elle pensait à lui, c'était plutôt avec un sentiment de reconnaissance pour la liberté qu'il lui laissait.

      Mais disons vrai; avouons que ce hasard arrivait bien rarement, que le comte ne se présentait presque jamais à son idée, et que son engagement s'effaçait chaque jour de son esprit. Elle jouissait de sa liberté comme si elle eût été réelle, et ne ressemblait pas mal à ces oiseaux attachés par un fil: ils planent dans l'air; ils chantent; ils se croient aussi libres que leurs camarades qu'ils voient voler autour d'eux; ils oublient leur lien, et ne s'en aperçoivent que lorsque la main qui les retient les attire, et les remet doucement dans leur cage.

      Caroline avait reçu depuis peu de Berlin beaucoup de musique nouvelle, entre autres un recueil de romances, dont elle était passionnée. Une surtout lui plaisait excessivement; l'air convenait à sa voix, et les paroles à son coeur. Elle la chantait du matin au soir, l'accompagnait alternativement sur la harpe, le clavecin et la guitare, et trouvait toujours un nouveau plaisir à la répéter. Nous allons la donner à nos jeunes lecteurs. Il s'en trouvera peut-être à qui elle pourra plaire aussi, et l'on sera bien aise sans doute de connaître ce qui plaisait à Caroline.

       Table des matières

      AVEC ACCOMPAGNEMENT DE GUITARE.

      Air noté à la fin.

      La jeune Hortense, au fond d'un vert bocage,

       Rêvait un jour seule sur le gazon;

       La jeune Hortense, au printemps de son âge,

       Ne connaissait de l'amour que le nom.

       A ce nom souvent elle pense,

       Craint et désire un doux lien:

       Oh! ma paisible indifférence

       Est-elle un mal? est-elle un bien?

      Je vois l'amour dans tout ce qui respire,

       Il est partout, excepté dans mon coeur.

       Autour de moi tout aime, tout soupire:

       Serait-ce donc le souverain bonheur?

       Tout s'anime par sa présence;

       Moi seule, hélas! je ne sens rien:

       Oh! ma paisible indifférence

       Est donc un mal plutôt qu'un bien!

      Oui, mais je vois errer dans la prairie

       De fleurs en fleurs le papillon léger,

       Abandonnant celle qu'il a chérie:

       Ainsi que lui, tout amant peut changer.

       Vif emblème de l'inconstance,

       Tu me dis qu'il faut n'aimer rien.

       Oh! ma paisible indifférence,

       Loin d'être un mal, est donc un bien.

      J'ai vu souvent, pour un berger volage,

       J'ai vu gémir d'innocentes beautés;

       Elles fuyaient tous les jeux du village,

       Pour des ingrats toujours trop regrettés:

       Moi je ris, je change et je danse;

       Tous les ingrats ne me font rien.

       O ma paisible indifférence!

       Vous êtes mon unique bien.

      Ainsi chantait cette jeune bergère.

       Amour l'entend, Amour


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