Invasions des Sarrazins en France et de France en Savoie, en Piémont et dans la Suisse. Joseph Toussaint Reinaud

Invasions des Sarrazins en France et de France en Savoie, en Piémont et dans la Suisse - Joseph Toussaint Reinaud


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événemens ne trouveront pas indifférentes, et qui, à portée des lieux mêmes où les faits se passèrent, auront à leur disposition des documens inconnus. L’écrit que nous publions, et qui, bien qu’assez court, nous a coûté de longues recherches, peut être considéré comme le cadre où viendront successivement prendre place les divers épisodes du sujet que nous traitons. La longue distance qui nous sépare de ces tems éloignés ne permet pas d’espérer qu’on parvienne à remplir toutes les lacunes qui existent encore; mais sans doute il se présentera de nouveaux faits. Dans tous les cas, si on jugeait que cet écrit a jeté quelque lumière sur la partie la plus obscure et la plus difficile de nos annales, nous nous croirons suffisamment dédommagé de toutes nos peines.

      L’ouvrage est divisé en quatre parties. Dans la première, il est parlé des invasions des Sarrazins, venant surtout d’Espagne, à travers les Pyrénées, jusqu’à leur expulsion de Narbonne et de tout le Languedoc par Pepin-le-Bref, en 759. La deuxième partie est consacrée aux invasions des Sarrazins venant par terre et par mer, jusqu’à leur établissement sur les côtes de Provence, vers l’an 889. La troisième fait voir comment les mahométans pénétrèrent par la Provence en Dauphiné, en Savoie, en Piémont et dans la Suisse. Nous montrons, dans la quatrième, quel fut le caractère général de ces invasions, et quelles en furent les suites.

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       Table des matières

      PREMIÈRES INVASIONS DES SARRAZINS EN FRANCE JUSQU’A LEUR EXPULSION DE NARBONNE ET DE TOUT LE LANGUEDOC, EN 759.

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      Un auteur arabe, racontant la conquête de l’Espagne par ses compatriotes, rapporte d’abord ces paroles, qu’il place dans la bouche de Mahomet: «Les royaumes du monde se sont présentés devant moi, et mes yeux ont franchi la distance de l’Orient et de l’Occident. Tout ce que j’ai vu fera partie de la domination de mon peuple[26].» On put croire, en effet, que tout l’univers allait fléchir sous le joug du prophète. En quelques années, la Mésopotamie, la Syrie, la Perse, l’Égypte et l’Afrique jusqu’à l’Océan atlantique, furent soumises par le glaive. D’une part, les guerriers arabes envahissaient l’Espagne, et, s’avançant à travers la France, menaçaient de subjuguer le reste de l’Europe; de l’autre, franchissant l’Oxus et l’Indus, ils semblaient ne vouloir reconnaître d’autres bornes que celles que la nature elle-même a données à la terre que nous habitons.

      Le centre de cet immense empire était en Syrie, dans l’antique ville de Damas. La souveraine puissance, tant pour le spirituel que pour le temporel, se trouvait entre les mains des khalifes ommiades; celui qui régnait alors se nommait Valid.

      Les Arabes, en pénétrant dans l’Afrique, avaient rencontré dans l’intérieur, particulièrement dans les chaînes du mont Atlas, d’innombrables tribus nomades, appelées du nom général de Berbers. Ces peuplades, qui avaient successivement défendu leur liberté contre les Carthaginois et les Romains, professaient, les unes le judaïsme, les autres le christianisme, quelques-unes le culte des idoles. La plupart de ces peuplades parlaient une langue particulière appelée le berber, qui subsiste encore. Mais quelques-unes faisaient usage d’un langage qui se rapprochait de l’arabe, de l’hébreu et du phénicien[27], soit que ces tribus fussent des restes des peuples du pays de Chanaan et de la Phénicie qui, du tems de Josué et dans les tems postérieurs, s’embarquèrent pour les parages d’Afrique[28], soit que, comme le disent les plus savans d’entre les écrivains arabes, dans les premiers siècles de notre ère, plusieurs tribus de l’Yémen ou Arabie Heureuse, qui professaient le judaïsme, ayant été obligées de s’expatrier pour échapper aux persécutions des Éthiopiens, alors maîtres de cette partie de la presqu’île, se fussent réfugiées à travers les provinces romaines dans ces régions éloignées[29]: quoi qu’il en soit, ces rapports de langage ne contribuèrent pas peu à hâter les succès des Arabes; et, bien que les Berbers continuassent en général à professer la religion qu’ils avaient suivie jusque-là, ils furent d’un immense secours aux vainqueurs pour les nouvelles conquêtes qu’ils étaient sur le point d’entreprendre. En effet, les uns et les autres étaient habitués à la vie nomade, à une vie dure et sauvage, qui se prêtait admirablement à une guerre d’enthousiasme et de triomphes.

      Dès que la puissance des vainqueurs en Afrique commença à être affermie, ils songèrent à traverser le petit détroit qui sépare cette partie du monde de l’Europe. On était alors dans l’année 710. Celui qui gouvernait l’Afrique au nom du khalife s’appelait Moussa, fils de Nossayr. Né dans les dernières années du règne du khalife Omar, Moussa avait pour ainsi dire sucé avec le lait les idées de prosélytisme et de guerre qui caractérisaient l’islamisme. Il était alors âgé de près de quatre-vingts ans; mais il avait encore toute l’ardeur d’un jeune guerrier. Quant à l’Espagne, elle était au pouvoir des Goths, et le prince qui régnait s’appelait Rodéric. La monarchie des Goths, qui comprenait dans ses limites le Roussillon et une partie du Languedoc et de la Provence, renfermait des villes florissantes, des armées nombreuses. Mais l’esprit de faction s’était emparé de chacun, et la corruption générale avait énervé les courages. Il était facile de voir qu’un royaume, en apparence très-puissant, succomberait devant un petit nombre d’enthousiastes et de sectaires, excités par la soif du butin et qui se croyaient envoyés de Dieu même.

      Moussa fit faire une première tentative par quelques Berbers, qui, débarquant au lieu où fut bâti plus tard Tharifa[30], parcoururent les côtes de l’Andalousie, enlevant les troupeaux et pillant les villes ouvertes. Comme les Berbers ne rencontrèrent pas de résistance, Moussa, l’année suivante (711), fit partir une nouvelle expédition beaucoup plus nombreuse. Celle-ci, composée de douze mille hommes, presque tous Berbers, était commandée par son affranchi Tharec, fils de Zyad, le même qui donna son nom au rocher de Gibraltar, près duquel il débarqua[31]. Pour les musulmans pieux, la guerre qu’on allait entreprendre devait accroître le nombre des fidèles, et ils s’assuraient à eux-mêmes le paradis; pour ceux qui ne visaient qu’à la gloire, aux richesses ou aux plaisirs, ils entraient dans un pays riche et fertile, où ils trouveraient tout ce qui excite ordinairement les désirs des hommes.

      La petite armée de Tharec suffit pour renverser l’armée des Goths. Le roi fut vaincu, et sa tête envoyée comme trophée à la cour de Damas. En moins d’un an, Tharec s’empara de Cordoue, de Malaga et de Tolède. Un écrivain arabe rapporte que, pour inspirer plus de terreur, il avait fait tuer quelques-uns de ses captifs, et après les avoir fait cuire, les avait donnés à manger à ses soldats[32]. Une des principales causes de ces succès sans exemple, ce fut l’appui que les vainqueurs trouvèrent dans les juifs, alors très-nombreux en Espagne. Les juifs étaient impatiens de se venger des vexations auxquelles ils étaient en butte de la part des chrétiens, et d’ailleurs ils voyaient des frères dans une partie des conquérans.

      A la nouvelle de progrès si glorieux, Moussa éprouva le désir d’en partager l’honneur. Il accourut du fond de l’Afrique avec une autre armée composée d’Arabes et de Berbers, comptant d’autant plus sur le succès, qu’on remarquait dans ses rangs un des compagnons du prophète, âgé de près de cent ans, et plusieurs enfans des compagnons de Mahomet. Moussa porta ses pas d’un autre côté que son lieutenant, et subjugua successivement Mérida, Saragosse et d’autres cités. Puis se disposant à s’éloigner encore plus du centre de ses forces, il prit avec lui une troupe d’élite armée à la légère. Les fantassins, du reste en petit nombre, ne portaient que leurs armes. Les cavaliers, qui formaient la meilleure portion de l’armée, et qui étaient montés en partie sur les chevaux des vaincus, n’avaient avec leurs armes qu’un petit sac pour les provisions et une écuelle en cuivre. Chaque escadron et chaque bataillon reçut un nombre déterminé de mulets pour le transport des bagages.

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