Invasions des Sarrazins en France et de France en Savoie, en Piémont et dans la Suisse. Joseph Toussaint Reinaud

Invasions des Sarrazins en France et de France en Savoie, en Piémont et dans la Suisse - Joseph Toussaint Reinaud


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à ce sujet le témoignage d’un poète qui écrivait au commencement du neuvième siècle, et ce témoignage est trop important pour que nous ne l’insérions pas ici. Il y est parlé d’un jeune homme appelé Datus ou Dadon, qui, à l’approche des Sarrazins, avait pris les armes, et qui, laissant sa mère seule, s’était retiré à quelque distance avec les guerriers du pays. Pendant son absence, les barbares envahirent sa maison, et après avoir tout dévasté, ils se retirèrent emmenant sa mère et le reste du butin dans leur château-fort. A cette nouvelle, Dadon accourt avec quelques-uns de ses compagnons; il était monté sur un cheval, et armé de pied en cap. Ici nous allons laisser parler le poète.

      «Dadon et ses amis étaient disposés à forcer l’entrée du château; mais de même que le cruel épervier, après avoir enlevé le timide oiseau qui s’était aventuré dans les airs, se retire avec sa proie et laisse les compagnons de sa victime faire retentir le ciel de leurs gémissemens, de même les Maures, tranquilles à l’abri de leurs remparts, se rient des menaces de Dadon et de ses efforts. A la fin, cependant, un d’entre eux adresse la parole à Dadon, et, d’un ton railleur, lui demande ce qui l’a amené. «Si, ajoute-t-il, si tu veux que nous te rendions ta mère, donne-nous le cheval sur lequel tu es monté; sinon ta mère va être égorgée sous tes yeux.» Dadon, irrité, répond qu’on peut faire de sa mère ce qu’on voudra, que jamais il ne cèdera son cheval. Là-dessus le barbare amène la mère de Dadon sur le rempart, et lui coupant la tête, il la jette au fils en disant: «Voilà ta mère!» A ce spectacle, Dadon recule d’horreur. Il pleure, il gémit, il court ça et là en criant vengeance; mais comment forcer l’entrée de la forteresse?» A la fin, il s’éloigne, et, disant adieu au monde, il se retire dans une solitude sur les bords du Dourdon, dans le lieu où s’éleva plus tard le monastère de Conques[49].

      Un autre fait, en l’absence de témoignages plus nombreux, servira encore à faire connaître le caractère des épouvantables invasions auxquelles une grande partie de la France fut alors en proie; c’est ce qui arriva au monastère du Monastier, dans le Velay. Les Sarrazins avaient envahi les diocèses du Puy et de Clermont, et dévasté l’église de Brioude[50]. Les barbares, approchant du Monastier, saint Théofroi, autrement appelé saint Chaffre, abbé du monastère, assembla ses moines, et les exhorta à se retirer dans les bois des environs avec ce que le couvent renfermait de plus précieux, et à y rester jusqu’à ce que des tems meilleurs leur permissent de reprendre leurs anciennes occupations; pour lui, il déclara qu’il était décidé à subir les traitemens que les barbares voudraient lui faire éprouver, heureux si par ses exhortations il pouvait les ramener dans la bonne voie; plus heureux encore si, par sa mort, il obtenait la palme du martyre. A ces mots, les moines se mirent à fondre en larmes, demandant qu’il s’enfuît avec eux dans la forêt, ou qu’il leur permît de mourir avec lui; mais le saint persista dans sa résolution, et, pour ce qui les concernait, il leur représenta qu’il était plus conforme à la volonté divine de se dérober à un danger qu’on pouvait éviter, lorsque surtout on avait l’espoir de se rendre plus tard utile à la religion. Là-dessus il leur cita l’exemple de saint Paul, qui, étant poursuivi à Damas par les juifs, ses ennemis, se fit descendre la nuit dans une corbeille hors des murs de la ville; ainsi que celui de saint Pierre, qui, en butte aux fureurs de Néron, eut également pris la fuite, si Dieu lui-même n’était venu à sa rencontre pour arrêter ses pas. Pour ce qui le regardait personnellement, il fit voir qu’il était quelquefois du devoir d’un pasteur de se dévouer pour le salut de son troupeau; que peut-être il aurait le bonheur d’ouvrir les yeux des barbares à la vérité, et que s’il était mis à mort, son sang désarmerait la colère céleste, irritée sans doute par les péchés des hommes.

      A la fin les moines se résignèrent, et leur départ fut fixé pour le lendemain. Après qu’ils eurent entendu la messe, l’abbé leur fit une nouvelle exhortation; ensuite ils se chargèrent des objets les plus précieux du couvent, et s’éloignèrent. Deux d’entre eux seulement restèrent secrètement, et allèrent se placer au haut d’une montagne qui domine le monastère, afin d’être témoins de ce qui arriverait.

      Les barbares ne tardèrent pas à se présenter. Comme l’abbé s’était retiré dans un coin, occupé à prier Dieu, ils ne firent aucune attention à lui, et se mirent à visiter le monastère, espérant faire un riche butin. Leur projet était de s’emparer des moines les plus jeunes et les plus vigoureux, et de les vendre en Espagne comme esclaves. Quand ils reconnurent que les moines étaient partis, et que les objets les plus précieux avaient été enlevés, ils entrèrent en fureur, et l’abbé s’étant enfin offert à leurs yeux, ils l’accablèrent de coups.

      Ce jour-là était pour les barbares un jour de fête, où ils avaient coutume d’offrir un sacrifice à Dieu. Le chroniqueur d’après lequel nous parlons ne dit pas en quoi consistait ce sacrifice. Il paraît seulement qu’il consistait en libations; d’où on pourrait induire que la bande sarrazine qui envahit le Velay n’était pas mahométane, mais se composait de Berbers, dont plusieurs étaient encore plongés dans les ténèbres de l’idolâtrie. Quoi qu’il en soit, les barbares s’étant retirés à l’écart pour s’acquitter de leurs devoirs religieux, le saint, qui s’en aperçut, crut que c’était une occasion favorable pour les faire rentrer en eux-mêmes. Là-dessus, il s’approcha d’eux, et leur représenta qu’au lieu de se prostituer ainsi au culte des démons, ils feraient bien mieux de réserver leurs hommages pour l’auteur de toutes choses, pour celui qui a créé les élémens et tout ce qui existe. Mais cette exhortation ne fit que redoubler la fureur des barbares; ils tournèrent leur rage contre lui, et l’homme qui célébrait le sacrifice, saisissant un gros caillou, le lui jeta à la tête, et le fit tomber par terre presque sans vie. Les Sarrazins se disposaient même à mettre le feu au monastère, et à n’y pas laisser pierre sur pierre, lorsqu’on annonça l’approche de troupes chrétiennes, ou plutôt, si on en croit l’auteur d’après lequel nous parlons, lorsque le Seigneur, justement irrité d’un tel attentat, suscita une horrible tempête, accompagnée de grêle et de tonnerre, qui força les barbares à prendre la fuite. Le saint mourut quelques jours après; mais les moines purent revenir en toute sûreté[51].

      C’est probablement à la même époque, bien que les écrivains arabes ne s’expriment pas clairement, et que les auteurs chrétiens varient entre eux, qu’il faut placer l’invasion des Sarrazins en Dauphiné, à Lyon et dans la Bourgogne. Un écrivain mahométan s’exprime ainsi: «Dieu avait jeté la terreur dans le cœur des infidèles. Si quelqu’un d’eux se présentait, c’était pour demander merci. Les musulmans prirent du pays, accordèrent des sauvegardes, s’enfoncèrent, s’élevèrent, jusqu’à ce qu’ils arrivèrent à la vallée du Rhône. Là, s’éloignant des côtes, ils s’avancèrent dans l’intérieur des terres[52].»

      On ne connaît les lieux où pénétrèrent les Sarrazins que par les souvenirs des dégâts qu’ils y commirent. Aux environs de Vienne, sur les bords du Rhône, les églises et les couvens n’offrirent plus que des ruines. Lyon, que les arabes appellent Loudoun, eut à déplorer la dévastation de ses principales églises[53]; Mâcon et Châlons-sur-Saône furent saccagées[54]; Beaune fut en proie à d’horribles ravages; Autun vit ses églises de Saint-Nazaire et de Saint-Jean livrées aux flammes; le monastère de Saint-Martin, auprès de la ville, fut abattu[55]; à Saulieu, l’abbaye de Saint-Andoche fut pillée[56]; près de Dijon, les Sarrazins abattirent le monastère de Bèze[57].

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