Inhumain. Ecrivain Anonyme

Inhumain - Ecrivain Anonyme


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mère se décompose pendant une seconde, mais reprend vite contenance car elle sait que nous ne sommes pas seules.

      - Laisse-nous, lance-t-elle alors.

      Elle me regarde, mais je sais qu'elle ne s'adresse pas à moi. Aaron n'est pas mal-à-l'aise ; il sait que la relation que j'entretiens avec ma mère n'est pas des plus cordiales.

      - On se voit demain, Rose, dit-il, mais, avant de partir, je le rattrape par le col et lui roule une grosse pelle, juste devant les yeux de ma génitrice.

      Je sais qu'elle ne l'aime pas du tout et je prends vraiment du plaisir à l'irriter.

      Aaron s'en va et je le regarde atteindre sa moto pour éviter le plus possible le contact avec ma mère. J'espère même qu'elle sera partie lorsque je me retournerai, mais, bien sûr, mon vœu n'a pas été exaucé.

      - Je ne veux plus qu'il mette les pieds ici, me suis-je bien faite comprendre ?

      - Tu sais très bien que je ne vais pas t'écouter, alors pourquoi tu t'obstines ?

      - Je fais beaucoup d'efforts pour que tu ne manques de rien et j'aimerais que tu fasses preuve d'un minimum de maturité.

      - Je me fiche de ton argent, ce n'est pas ce que je veux !

      - Pourtant, tu n'es pas la dernière à le prendre quand il te tombe gratuitement dans les mains, s'exclame-t-elle, sur le point de se mettre à hurler.

      - C'est tout ce que j'ai de mes parents, alors ouais, je ne vais pas cracher dessus !

      - Cesse donc d'être capricieuse deux minutes ! Tu ne te rends pas compte de tout ce que l'on fait pour que tu vives correctement et toi… crie-t-elle en me regardant comme une moins que rien. Et toi, tu gâches tout ce que l'on a construit pour toi en traînant avec la basse société, en empestant le cannabis et en te fringuant comme une fille des trottoirs. Mais regarde-toi, ma fille, tu me fais honte !

      Je n'ai rien à ajouter. C'est pourquoi je remonte dans ma chambre et ferme la porte à clé, juste au cas où l'idée de venir me pourrir la vie dans ma chambre lui viendrait à l'esprit.

      - Tu es privée de sortie pendant deux semaines ! Je veux que tu rentres tous les soirs après les cours, sans exception.

      J'entends sa voix jusqu'à mon sanctuaire car elle braille comme un âne. Et je comprends pourquoi père a acheté une villa perdue au milieu de nulle part. Il savait quel coffre avait ma mère !

      La question est plutôt : comment pourra-t-elle vérifier que je me tiens à sa punition ? Elle est rarement là parce qu'il y a toujours des évènements comme des fashions weeks par-ci, des fashions weeks par-là.

      J'ai absolument besoin de respirer, mais j'ai surtout besoin de me détendre. Pour ça, je prends un filtre dans ma table de nuit et me roule une clope.

      Je fume sur le balcon, puis ferme les yeux en sentant l'air frais me frapper le visage. Je crache la fumée en imaginant que mes problèmes s'envolent avec la même facilité qu'elle. Pour elle, il lui suffit de compter sur la gravité, alors que moi, sur quoi puis-je compter ? Je ne suis pas sûre que je me suffise à moi-même. J'aimerais me sentir aussi légère qu'une plume, voler de mes propres ailes et découvrir qui je suis, ce que je veux vraiment faire. Pour moi. Seulement pour moi.

      Il y a tellement de choses que j'ignore, tellement de choses qui sont enfouies, cachées, dissimulées au plus profond de mon être, que je ne suis pas sûre que l'image que je donne de ma personne soit la plus représentatrice de ce que j'ai à l'intérieur.

      Je sais que je suis jeune et que je n'ai pas vraiment le droit de me plaindre de ne pas me connaître, car beaucoup font toujours ce travail-là à une trentaine d'années. Mais j'aimerais tellement que tout ça s'arrête. Que la vie ne ressemble plus à un fouillis que je ne comprends pas, qui m'impose de faire ce que je ne veux pas, de dire des choses que je ne désire pas, de respirer comme on me dit de le faire, d'être comme on me le demande. J'en ai marre de devoir être quelqu'un que je ne suis pas pour faire plaisir à ceux qui me regardent. Le monde est tellement grand… alors, pourquoi me regarder fauter ? Suis-je la seule à m'imaginer dans un endroit paisible, sans jugement et qui veut bien de moi ? De moi au naturel ? Puis-je vivre ma vie comme je l'entends, comme mon âme le souhaite ? Puis-je avoir la tranquillité d'esprit de me dire que je suis épanouie, heureuse ?

      Et si je voulais traîner avec des sans-abris ? Et si je voulais m'habiller comme une pute ? Et si je voulais crier ? Et si je voulais emmerder le monde ? Et si je voulais…

      Quand va-t-on me foutre la paix ?

      CITATION :

      Ton passé te fait mûrir et crée ce que tu vas devenir. Les erreurs ne sont pas des échecs, elles sont les conséquences de ton apprentissage. Tu vas décevoir des gens, - et toi le premier ! - mais tant que tu vis en fonction de tes valeurs et de tes principes, tu seras toujours en accord avec toi-même.

      Quoi qu'il arrive.

      CHAPITRE 6

      Apprentissage - Oliver

      3 semaines plus tard...

      Je suis à la dernière ligne du roman que Flocon m'a passé. J'avoue que j'en retire une belle philosophie : le handicape n'est pas une fin en soi, mais il reste un frein à la vie que l'on s'imagine. Parfois, il faut arriver à se réjouir de ce qu'on nous a donné, le chérir, car c'est tout ce que l'on aura jamais.

      Perché sur mon rocher habituel, le livre dans les mains, j'observe le château de cette fille. Je fais ça depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines ; je ne sais pas, je ne me rends pas toujours compte du temps qui passe. Elle part toujours tôt le matin et ne rentre pas avant le coucher du soleil. Même plus tard dans la nuit, parfois.

      Tous les deux ou trois jours, un garçon la rejoint au crépuscule et repart quelques heures plus tard. Il ne reste jamais très longtemps, tout comme ses parents, d'ailleurs. La plupart du temps, elle semble seule dans sa tour d'ivoire. Une fois, j'ai vu sa mère rentrer et, le soir même, elle s'est disputée avec sa fille. C'est exactement ce que me disait Joe, pour le coup. Elles ont toutes les deux crié très fort et j'ai senti leur animosité jusqu'ici, au loin. Je suis bien placé pour comprendre les relations compliquées, mais être spectateur de cette colère m'a quelque peu désarçonné. J'ai eu la sensation de me voir en elle, face à la fureur de mes parents, mais je n'ai pas osé l'approcher par la suite. Ça amènerait un contact que je ne recherche pas.

      La porte-fenêtre de sa chambre s'ouvre tout à coup sur elle, puis elle sort en glissant quelque chose entre ses lèvres et se met à cracher de la fumée. Elle fait souvent ça à la tombée de la nuit, comme une vieille routine. Je ne sais pas trop ce que représente cette fumée, mais elle semble plus détendue quelques minutes après ça. Ça se voit à sa gestuel. Elle est souvent crispée, sur le qui-vive, prête à en découdre, alors j'imagine que c'est devenu un automatisme.

      Un garçon s'approche alors d'elle et se place à ses côtés, les bras croisés sur la rambarde. C'est la première fois que je le vois chez elle. Il semble plus petit que le garçon qui vient la voir d'habitude et aussi beaucoup plus bronzé.

      Elle lui sourit après quelques échanges, puis se tend et souffle, irritée. Elle pose alors l'objet qui lui fait cracher de la fumée et se met à contempler le paysage.

      Je ne sais pas si elle peut me voir, beaucoup d'arbres m'entourent, mais moi je la vois parfaitement depuis ma cachète. Sa chevelure rouge m'apparaît comme du feu avec le peu d'éclairage, alors je ne peux pas la rater. Ce garçon la fait sourire à nouveau et je me dis qu'ils doivent bien s'entendre, de toute évidence.

      Ce soir, l'autre garçon va venir la voir, normalement, mais demain soir,


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